L'Europe protégée par l'arme nucléaire française? "Un changement de doctrine depuis de Gaulle"

Emmanuel Macron a relancé, samedi, le débat sur l'idée d'une dissuasion nucléaire européenne, au lendemain de l'altercation entre Donald Trump et Volodymyr Zelensky à Washington, et dans un contexte d'inquiétude grandissante des alliés de Kiev et de l'UE à propos du rapprochement entre le président américain et Vladimir Poutine.
Le chef d'Etat français propose un "dialogue stratégique" avec les pays européens qui n'ont pas l'arme nucléaire et pourraient ne plus dépendre de la dissuasion américaine, faisant valoir dans le Parisien que cela "rendrait la France plus forte" car, ajoute-t-il dans Ouest-France, "aujourd’hui" les missiles russes déployés en Biélorussie "nous exposent".
L'arme nucléaire "ne se partage pas"
"La dissuasion nucléaire se partage pas, quoi qu'il arrive", rappelle d'emblée sur RMC Patrick Martin Genier, enseignant à Sciences Po. L'idée étant "d'envisager la protection nucléaire de la France dans d'autres pays, c'est à dire l'Europe", ce qui constitue un parapluie nucléaire sous l'égide française, donc.
"Il s'agirait d'un changement de doctrine stratégique, celle établie par le général de Gaulle" il y a plus de 60 ans, souligne l'enseignant, qui assure que l'"on n'y est pas encore". Cette idée "nécessite un débat très important en France, notamment au Parlement." Il prévient également: "Je ne suis pas certain que d'autres pays souhaitent que la France mette son arme nucléaire au service de l'Europe."
Face au risque de retrait de la garantie de sécurité américaine, y compris nucléaire, en Europe, Friedrich Merz a évoqué une nécessaire discussion avec les Britanniques et les Français "sur la question de savoir si nous ne pourrions pas bénéficier du partage nucléaire, au moins de la sécurité nucléaire" que Paris et Londres pourraient apporter.
Marine Le Pen se dit contre l'idée
La dissuasion nucléaire de la France doit rester "française" et "on ne doit pas la partager", a rétorqué samedi Marine Le Pen, cheffe de file des députés RN à l'Assemblée nationale, en minimisant la portée des échanges très tendus entre les présidents américain et ukrainien, la veille dans le bureau ovale. Les États-Unis restent "évidemment" un allié de la France au sein de l'Otan (Organisation du traité de l'Atlantique nord). Ceux qui disent le contraire "ne sont pas des gens raisonnables", a-t-elle aussi affirmé.
Pas de droit unique pour les 27 à appuyer sur le bouton
"Il n'y a pas un cercle de 27 pays (l'UE, NDLR) qui va s'établir, avec chacun un droit d'appuyer sur le bouton. La dissuasion nucléaire restera française mais il faudra convenir du fait que les intérêts vitaux de la France s'élargissent. C'est une façon dissuasive de les empêcher de nous menacer", explique à RMC Dominique Trinquand, ancien chef de la msision militaire française auprès de l'ONU.
Même son de cloche du côté du ministre des Armées Sébastien Lecornu, qui a répondu sur X que la dissuasion nucléaire "restera" française "de la conception et la production de nos armes, jusqu'à leur mise en œuvre sur décision du président de la République", mais qu'en même temps "nos intérêts vitaux comportent une 'dimension européenne'".
Pour parvenir à une défense européenne autonome vis-à-vis de l'Otan, "cela prendra 5 ans, 10 ans, mais ce n’est pas grave", a prévenu le président français, cité par le JDD. "Je crois qu'aujourd’hui, c'est le moment d'un réveil stratégique, parce que dans tous les pays il y a un trouble, une incertitude, sur le soutien américain dans la durée", a-t-il ajouté.