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Mais pourquoi tout le monde déteste-t-il autant le traité Mercosur?

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Les négociations autour de l’accord UE-Mercosur s’accélèrent. Un traité commercial dont pas grand monde ne veut, surtout pas les agriculteurs.

Véronique Le Floch de la Coordination rurale était l'invité de RMC jeudi et nous a fait part de son inquiétude concernant le Mercosur, accord de libre-échange en négociation entre l'UE et l'Amérique du Sud.

Il s’agit d’un traité commercial qui instaurerait une zone de libre-échange de 800 millions de consommateurs entre, d’un côté, les 27 pays de l’UE et, de l’autre, le Mercosur, c’est-à-dire le marché commun des pays d’Amérique du sud qui regroupe le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay, le Paraguay et la Bolivie. Soit un potentiel de 40 à 50 milliards d’euros d’importations et d’exportations croisées.

Comment ? En supprimant les droits de douane, par exemple sur l’importation de bœuf et de sucre ou sur l’exportation de nos vins et de notre lait.

Pourquoi ça fait tant peur à nos agriculteurs ?

Mais le traité fait peur aux agriculteurs. Parce que les pays du Mercosur produisent un quart de la viande bovine de la planète et représentent déjà, avant la ratification de ce traité, 35% des exportations mondiales. Aujourd’hui, avant que le traité ne soit signé, la balance commerciale de l’UE avec le Mercosur est positive de 25 milliards d’euros sur les services et les biens industriels et négative de 15 milliards sur les produits agricoles.

Une fois l’accord signé, ce sera pire puisque sur 6 ans, l’accord prévoit 100.000 tonnes de bœuf sud-américain à zéro droit de douane, 180.000 tonnes de poulets (élevés aux antiobiotiques de croissance), 180.000 tonnes de sucre, etc… Voilà pourquoi la FNSEA ne parle plus de ligne rouge, mais de "ligne écarlate".

Quelle est la position de la France sur ce traité ?

En France on est unanime: personne n’en veut. Les agriculteurs, les syndicats, les partis politiques, le gouvernement. A Bruxelles, la semaine dernière, Emmanuel Macron, lui-même, a dit: "En l’état, le Mercosur n’est pas un traité acceptable". Pour trois raisons: 1) Il faut respecter les accords de Paris sur le climat; 2) Il faut des clauses "miroir" qui imposent aux importations les mêmes règles de production (sociales, sanitaires, environnementales) que sur le sol français; 3) Il faut protéger les industries et les agriculteurs européens.

En fait, pour être honnêtes, certains en France y sont favorables : le secteur de l’aéronautique, celui des cosmétiques, le luxe, certains filières industrielles, les vins et spiritueux et même le lait qui pourrait trouver là un débouché vital.

La matinale 100% info et auditeurs. Tous les matins, Apolline de Malherbe décrypte l'actualité du jour dans la bonne humeur, avec un journal toutes les demies-heures, Charles Magnien, le relais des auditeurs, Emmanuel Lechypre pour l'économie, et Matthieu Belliard pour ses explications quotidennes. L'humoriste Arnaud Demanche vient compléter la bande avec deux rendez-vous à 7h20 et 8h20.
Expliquez-nous par Laurent Neumann : Mercosur, le traité redouté par les agriculteurs - 25/10
4:23

La France, le dernier des Mohicans

Et qui en Europe s'y oppose comme la France? C’est là que ça se complique. Ca fait plus de 20 ans que l’Europe et le Mercosur négocient. Mais cette fois, ça pousse fort pour que l’annonce soit faite au sommet du G20 qui a lieu à… Rio au Brésil, les 18 et 19 novembre prochains.

Pourquoi ça se précise ? Parce que la France est de plus en plus isolée. L’Allemagne, notamment, était contre, mais elle a changé d’avis. La fin du gaz russe à bon marché et la quasi-fermeture du marché chinois aux voitures allemandes plombent son modèle économique. Sa croissance est en panne sèche.

Pour elle, le Mercosur est un ballon d’oxygène. C’est ce que pensent aussi l’Espagne, le Portugal et la Suède qui veulent diversifier leurs sources d’approvisionnement en matières premières stratégiques et ne pas jeter les pays du Mercosur dans les bras de la Chine et de la Russie. Même l’Italie, les Pays-Bas et la Pologne qui étaient contre, n’hésitent en réalité que par peur de la colère du monde rural. C’est d’ailleurs pour achever de les convaincre que Bruxelles travaille, en cas d’adoption du traité, à un fonds d’indemnisation des agriculteurs.

Ce traité pourrait donc être adopté contre l’avis de la France ?

Sur le papier, ce traité pourrait être adopté contre l'avis de la France, car un vote à la majorité qualifiée des 27 suffit. Il faudra quand même que le Parlement européen approuve le texte au final. Quand on fait les comptes : l’Autriche et la France sont contre, l’Irlande a des doutes, Belgique, Italie, Pologne et Pays-Bas hésitent. Trop peu pour une minorité de blocage.

Reste le rapport de force : comment un tel accord pourrait être adopté sans la France, voire contre la France, une des principales économies européennes, membre fondateur de l’Union et membre du Conseil de Sécurité ?

Pour Michel Barnier, ce serait la tuile. Il n’a pas de majorité, il a un budget à faire voter, 60 milliards d’euros à trouver. Si les agriculteurs sortent de nouveau leurs tracteurs et bloquent les routes, ce serait politiquement catastrophique.

Sans parler du rapport des Français à l’Europe, déjà sacrément fissuré par le référendum de 2005 dont nos gouvernants n’ont tenu aucun compte…

La seule porte de sortie serait d’imposer que le traité soit ratifié par chacun des parlements nationaux avant d’entrer en vigueur. La France, à elle seule, pourrait alors le bloquer… Mais pour le moment, ce n’est pas prévu !

Laurent Neumann (édité par J.A.)