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Police-Justice

Blessés, violences: pourquoi y a-t-il un problème avec le maintien de l'ordre en France?

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La protestation contre la réforme des retraites prend un tour violent. Les tensions augmentent de semaine en semaine, alors que la violence des manifestants répond à la violence des forces de l'ordre. En Europe, la France fait d'ailleurs figure de très mauvais élève en la matière.

En cette dixième journée de mobilisation contre la réforme des retraites, le ministère de l'Intérieur craint des débordements d'ampleur. Gérald Darmanin a fait savoir ce lundi qu’il se préparait au pire. Selon lui, plus de 1.000 éléments radicaux pourraient se fondre dans les cortèges, à Paris, Lyon, Rennes, Nantes, Dijon et Bordeaux. Le ministre de l'Intérieur anticipe et dénonce par avance la violence de l’ultra-gauche qui pourrait être alimentée par ceux qui étaient le week-end dernier à Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres, dont une partie viennent de l'étranger, si l’on en croit Gérald Darmanin.

Par conséquent, c’est donc un dispositif de  13.000 policiers et gendarmes qui est mis en place, dont 5.500 à Paris. Cela représente 90 unités de gendarmes mobiles ou de CRS. Un dispositif "inédit", affirme Gérald Darmanin. En réalité, c’est le plus imposant depuis le début de ce mouvement, mais c’est loin d'être un record. En décembre 2018, pendant les "gilets jaunes", on avait déployé jusqu’à 89.000 gendarmes et policiers.

Montée de la violence

Ce qui est incontestable, c'est qu'on assiste à une montée de la violence. Depuis l’utilisation du 49.3 le 16 mars, il y a eu une dizaine de soirs d’affrontements à Paris et en région avec souvent des incendies volontaires. Il y a eu des très violents affrontements à la fin de la manifestation parisienne jeudi dernier, et puis les scènes de guérilla ce samedi autour de la bassine de Sainte-Soline.

En tout, depuis le 16 mars, le ministère de l'intérieur a dénombré 2.000 incendies, 128 bâtiments publics attaqués, et 891 blessés parmi les forces de l’ordre. On n’avait pas connu cela depuis le mouvement des "gilets jaunes". 

La violence des manifestants en réponse à la violence des forces de l'ordre

Mais selon le Conseil de l'Europe, la violence des manifestants est une réponse à la violence de forces de l'ordre. La commissaire aux Droits de l’homme dénonce l’usage excessif de la force par les agents de l'État. Elle estime qu’un État a le droit de faire usage de la force mais seulement en dernier ressort et de façon proportionnelle. Ce qui visiblement n’a pas été le cas lors des affrontements de jeudi dernier dans le quartier de l’Opéra.

Le Conseil de l'Europe estime que la violence, d'où qu'elle vienne, ne saurait être utilisée comme un moyen de résoudre une crise sociale. Et la commissaire regrette le retour de pratiques qui avaient déjà suscité son inquiétude lors du mouvement de "gilets jaunes" en 2019.

Parmi les pratiques qui inquiètent, il y a la doctrine mise en place par le préfet Didier Lallement, nommé prefet de police pendant la crise des "gilets jaunes", choisi pour sa fermeté. Il avait théorisé la doctrine du contact, c'est-à-dire de la police au contact directe des manifestants et fauteurs de troubles. Le tout additionné à un large usage de gaz lacrymogène, des LBD, des contrôles d’identité et des gardes à vue, ou encore la pratique des nasses, c'est-à-dire de l’encerclement de groupes de manifestants.

Ailleurs en Europe, d'autres exemples de violences

Mais la France n'a pas le monopole des violences policières. Si l'on prend l’exemple des nasses, ce sont les polices allemandes et anglaises qui les ont inventées, il y a plus de 30 ans. Et il y a 20 ans, les manifestations contre le G8 à Gênes en Italie avaient fait un mort et 600 blessés.

Mais un spécialiste de ces questions, Olivier Fillieule, explique dans Le Monde que la plupart des pays européens depuis une vingtaine d'années ont adopté une politique de "désescalade", en collaborant entre eux et en échangeant leurs expériences. La France s’est maintenue en dehors de ce groupe de pays et s’est au contraire raidie. 

Il y a longtemps eu un savoir-faire français en matière de maintien de l’ordre parce que la France s'était dotée très tôt d'unités spécialisées. Les gendarmes mobiles créés dès les années 1930, puis les CRS en 1945. Et leur professionnalisme était souvent salué.

Sauf qu'aujourd'hui, la France n’est certainement plus un modèle. Aucun autre pays européen ne déplore autant de blessés lors des mouvements sociaux. Beaucoup trop de blessés, des deux côtés.

Nicolas Poincaré