Affaire Théo: "Je n’ai jamais voulu provoquer cette blessure désolante", confie le policier

C’est la première fois qu’il s’exprime dans les médias. Marc-Antoine C., le policier auteur du coup de bâton télescopique qui a gravement blessé Théo, a accepté de témoigner, la veille de son procès.
Il s’exprime le visage dissimulé et la voix modifiée, car il craint aujourd’hui encore, dit-il, “menaces et représailles”. Sa vie a basculé il y a sept ans. Le 2 février 2017, peu avant 17h, Marc-Antoine C. et son équipage de la Brigade de sureté terrain (BST) vont contrôler un groupe de jeunes, à la cité des 3000 à Aulnay-sous-Bois, dans un secteur “réputé pour être un lieu de revente de produits stupéfiants”, note le juge d’instruction dans son ordonnance de mise en accusation.
"Je vis avec ce poids et j’y pense chaque jour”
Le contrôle dégénère et l’équipage décide d’interpeller Théo qui s’est interposé, contestant la légitimité du contrôle. Lors de l’empoignade, Marc-Antoine C. blesse grièvement Théo avec sa matraque télescopique dans la zone rectale.
“À plusieurs reprises, j’ai porté des coups de bâton télescopique en visant le haut des jambes, je le reconnais et je l’assume. Mon intention était de secourir l’un de mes collègues en mauvaise posture, allongé sous les pieds de M. Luhaka”, explique le gardien de la paix Marc-Antoine.
“J’ai voulu défendre mon collègue. Théodore Luhaka n’a jamais daigné se stopper et encore moins se laisser menotter. Sur le moment, j'étais dans un effet tunnel”, poursuit le policier.
“Je ne voyais aucun autre moyen a priori de défendre mon collègue face Théo Luhaka en position dominante tout en muscle. J’ai usé de gestes réglementaires et notamment d’un coup à l’origine de la blessure grave, je le conçois, mais mon intention a toujours été de faire chuter la partie civile et libérer mon collègue en dessous, je n’ai jamais eu la volonté de provoquer cette blessure désolante. D’ailleurs, mes collègues et moi n’avons eu connaissance et conscience de cette blessure que plus tard au commissariat. Jamais je n’aurais imaginé causer une telle blessure, je vis avec ce poids et j’y pense chaque jour”, assure-t-il.
Une affaire d’État
Dès le départ, Théo dénonce un viol. Marc-Antoine C. est donc mis en examen pour viol aggravé par sa fonction de policier.
“Je suis tombé dans un état de sidération avancé, une totale incompréhension. Nous sommes intervenus ce jour-là sur un point de deal où personne ne veut mettre les pieds et on nous jette dans l’abîme avec cette mise en examen du chef de viol aggravé et moi, je suis effaré”.
“En conservant cette infraction dans un premier temps, j'ai cette sensation d’avoir servi de fusible pour éviter que les banlieues ne s’embrasent plus encore”, relate-t-il.
La vidéo de l’interpellation, devenue virale sur les réseaux sociaux, avait provoqué des émeutes partout en France. L’affaire était alors devenue une affaire d’État.
“Le plus haut sommet de l’État a bafoué notre présomption d’innocence, se rappelle Marc Antoine. François Hollande, le président de la République, était allé au chevet de la partie civile”.
Théo Luhaka devient alors le symbole des violences policières. L’instruction a estimé sur la base des expertises médicales qu’il n’y avait pas eu de pénétration sexuelle, mais un “éclatement de la zone péri annale”.
Le juge a estimé que les policiers n’avaient pas eu l’intention de violer Théo. Les vidéos l’attestent, ils n’ont pas baissé son pantalon ni son caleçon.
Un geste disproportionné
Même si le chef d’inculpation de viol n’a pas été retenu, le juge d'instruction a estimé que ce coup de matraque n'était pas proportionné au titre de “la force du coup” de bâton télescopique, mais aussi parce qu’au moment où il est porté, “la partie civile cesse de se débattre, il est bloqué contre un muret et ne porte pas atteinte à l’intégrité physique des policiers”. Le policier avait une dizaine de secondes pour renoncer à son geste.
Et ce sont les séquelles permanentes de Théo qui valent à ce policier d'être renvoyé aux assises, où il encourt 15 ans de prison pour violences volontaires ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente.
La partie civile a été soumise à six missions d’expertises médicales pour évaluer ses séquelles. Un expert a estimé probable que Théo Luhaka subisse des séquelles permanentes d'un niveau plus ou moins important.
“Ce crime qu’on impute à mon client est un geste technique préconisé par la doctrine d’emploi de la police, réglementaire, conforme”, estime Me Louis Cailliez, l’avocat de Marc-Antoine.
“Et dans le cas de figure qui nous occupe, était proportionné au but poursuivi: maîtriser un individu récalcitrant en rébellion violente et protéger des collègues dans le cadre d’une interpellation particulièrement difficile. Il faut distinguer le caractère volontaire du geste et les dommages provoqués qui résultent d’un accident”, affirme Me Caillez qui plaidera l’acquittement.
Théo souffre aujourd'hui d'une dépression "inquiétante"
Quant à Théo Luhaka, il a “toujours le sentiment d’avoir été violé, il a subi une atteinte extrêmement grave à son corps qui l’empêche de se mouvoir, de vivre sa passion pour le sport. Il va mal, il a été victime de violences gravissimes dont on ne peut pas se remettre”, explique son avocat Me Antoine Vey.
“Cette affaire montre qu’un contrôle de police peut déraper, c’est une succession de scènes de violences, de comportements humiliants et de propos tenus”.
Un expert psychiatre a estimé que le jeune homme souffrait d’une “dépression inquiétante” marqué par la “honte”, le “fatalisme” et un “sentiment abandonnique” pour lequel toute “prise en charge thérapeutique est associée à un aveu de faiblesse”.