Mort en direct du streamer Jean Pormanove: "On est fiers de regarder des gens se faire torturer"

La justice a ouvert une enquête après le décès en direct du streamer Jean Pormanove, star depuis des mois de vidéos diffusées en direct le montrant se faire frapper ou humilier, des contenus dénoncés comme une "horreur absolue" par le gouvernement.
Raphaël Graven, 46 ans, connu en ligne sous les pseudos Jean Pormanove ou JP, est décédé lundi à Contes, localité au nord de Nice, "lors d'un live streaming", a indiqué mardi le parquet de Nice, confirmant une information de Nice-Matin.
JP était suivi par des centaines de milliers d'abonnés pour ses vidéos le montrant subissant violences et autres humiliations, notamment de deux partenaires connus sous les pseudos de Narutovie et Safine. Ces vidéos étaient diffusées sur différents sites, notamment Kick, plateforme australienne, grande concurrente du leader mondial du live streaming Twitch et aux règles de modération plus relâchées.
Quelle modération sur Kick?
"Il n'y a pas de modération sur Kick contrairement à Twitch. Twitch prend 50 % du tarif de l’abonnement, Kick prend 5 %. Il y a de la rentabilité. Sur Kick, c'est du contenu qui vient du monde entier avec des tabassages, on se moque des handicapés, des gens qui s’amusent à inviter des SDF au resto et se barrent en courant en laissant la note, ce sont des gens qui filment des accidents de voiture ou des gens qui appellent des escortes et qui menacent de les violer", rappelle ce mercredi au micro des Grandes Gueules Abel Boyi, éducateur et président de l'association "Tous uniques, tous unis".
"On est dans la culture de la violence la plus bête, culture de l’humiliation et du harcèlement, rien à voir avec l’origine. Ça apparaît maintenant parce que ça vient du monde anglo-saxon. Kick c’est australien, ça cartonne aux États-Unis", explique Abel Boyi
"Entre le consentement, la soumission et l’emprise, la ligne est extrêmement faible. J’en veux à ce type de comptes et à Kick", poursuit ce dernier. "Voilà les exemples mis en avant pour la jeunesse. J’ai des mômes, 9–10–11 ans, qui se réveillent avec des streamers, s'endorment avec des streamers et sont complètement lobotomisés. Ils prennent exemple sur des actions manifester eux-même ensuite du harcèlement et de l’emprise sur des victimes."
L’Arcom a indiqué à l’AFP que si Kick ne disposait pas d’un représentant légal dans l’UE, comme c’est apparemment le cas, l’autorité pourrait d’elle-même "mettre en œuvre les obligations auxquelles la plateforme est tenue" par la règlementation européenne.
"Nous sommes profondément attristés par la perte de Jean Pormanove", a indiqué par mail à l'AFP un porte-parole de Kick. "Nous examinons de toute urgence les circonstances et collaborons avec les parties prenantes concernées (...). Les règles de la communauté Kick visent à protéger les créateurs, et nous sommes déterminés à les faire respecter sur l'ensemble de notre plateforme".
"Mentalité ultra-capitaliste"
"Ces plateformes sont là pour faire de l’argent avec de la violence pure. On est en train de payer l’évolution d’une mentalité qui est ultra-capitaliste, ultra-financiarisée, où l’argent vaut valeur suprême", dénonce de son côté Barbara Lefebvre. Le système de production capitaliste, c'est de faire du pognon avec violence. Il y a un écosystème de gens: on est fiers de regarder des gens se faire torturer. Les gens qui regardent sont décivilisés", martèle-t-elle.
"Il faudrait travailler auprès des jeunes et des enfants, dès la petite enfance, sur l’empathie : qu’est-ce que l’autre, la différence, qu’est-ce que la fragilité. Tout ce qui est fragile. On a un discours larmoyant victimaire, mais dans la réalité on maltraite les fragiles, les vrais fragiles", souligne la professeure d'histoire-géographie.
La chroniqueuse des Grandes Gueules développe: "Les responsables sont les gens qui regardent. Ça n’a pas commencé aujourd’hui. C’est le laisser-aller d’une société décivilisée. Ça a commencé quelque part en 2001 avec Loft Story. C’était encadré, production, mais des gens regardaient des gens qui vivaient enfermés."
Narutovie et Safine déjà placés en garde à vue en janvier
Une enquête avait été ouverte en janvier visait notamment des faits de "violences volontaires en réunion sur personnes vulnérables (...) et diffusion d'enregistrement d'images relatives à la commission d'infractions d'atteintes volontaires à l'intégrité de la personne".
Deux hommes nés en 1998 et 2002, tout comme "Narutovie" et "Safine" selon des documents d'enregistrement de sociétés à leurs véritables identités, avaient été placés en garde à vue début janvier et du matériel de tournage saisi. Mais "tant les personnes susceptibles d'être mises en cause que celles d'être victimes contestaient la commission d'infractions", avait à l'époque souligné le parquet.
Narutovie a annoncé lundi dans un post Instagram le décès de "JP (...) mon frère, mon acolyte, mon partenaire", demandant de "ne pas partager la vidéo de son dernier souffle". "Mon client n'a aucune responsabilité dans ce décès" et "se tient à la disposition" des enquêteurs, a indiqué à l'AFP son avocat, Yassin Sadouni. Il a annoncé dans un communiqué son intention de déposer plainte suite à une "campagne de cyberharcèlement" dont son client ferait l'objet suite à cette affaire.