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"On est surchargés": le juge Marc Trévédic déplore la généralisation des cours criminelles sans jurés

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"Je suis pour le juré populaire", martèle le juge de la Chambre de la cour d'appel de Versailles, Marc Trévédic. Le magistrat déplore la généralisation des cours criminielles (crimes punis de 15 ou 20 ans) dans lesquelles ne siègent pas des citoyens tirés au sort. Selon lui, cette réforme n'a pas été faite "pour des raisons de qualité".

C'est le 1er janvier 2023 que les cours criminelles départementales (CCD) ont remplacé les cours d'assises pour juger les crimes punis de quinze ou vingt ans de prison, essentiellement des viols. Composées de cinq juges, elles ont la particularité de ne pas avoir de jury populaire, c'est-à-dire des citoyens tirés au sort pour rendre la justice. Problème, bon nombre de magistrats déplorent depuis une accumulation des dossiers et des délais désormais impossibles à respecter.

" On est au bout de ce qu’on peut faire", explique ce vendredi sur RMC l'ancien juge antiterroriste Marc Trévidic, désormais président de la Chambre de la cour d'appel de Versailles et auteur du livre Justice présumée coupable chez Albin Michel. "On a un amas de dossiers, notamment les viols. On fait des doubles audiencements, on audience de février à Pâques, il n'y a plus de petites vacances", assure-t-il.

"Les délais sont courts. On ne veut pas libérer les gens avant qu’ils soient jugés. Parce qu’on en est là : on doit respecter les délais, on est au bout du bout. On va bientôt libérer les gens…", poursuit le magistrat, fataliste.

57% des affaires criminelles échappent désormais aux cours d'assises

57 % des affaires criminelles échappent aux cours d'assises, désormais, dont une écrasante majorité de viols, selon les chiffres de l’étude d’impact de la loi de 2019, relayée par Le Monde en mars dernier. Pourtant, "les jurés nous font du bien. ça nous aide à tout mettre sur la table, à nous remettre en cause dans nos pratiques professionnelles. Ils ont un regard neuf", souligne Marc Trévidic. "Nous, on leur apporte la connaissance du droit, des infractions. Ce mélange est très bien."

Un constat partagé par le procureur général près la Cour de cassation, Rémy Heitz, qui déclarait le 10 janvier dernier: "La récente création des cours criminelles départementales n’a pas permis d’atteindre les résultats escomptés", et a même "contribué à accroître la charge des juridictions criminelles et aggravé la pression des délais".

"Réhabiliter le jury populaire pour juger la totalité des crimes n’est plus seulement une affaire de principe, c’est aussi une question de bon sens", plaidait un collectif dans une tribune parue dans Le Monde, en mars

"Le jury populaire est un héritage démocratique issu de la Révolution française, le dernier espace qui permet à de simples citoyens de contribuer à rendre la justice 'au nom du peuple français'. Son recul s’inscrit en totale contradiction avec les discours portés par les gouvernements successifs, se disant soucieux de consolider la démocratie", déplorait un collectif dans un tribune publiée par Le Monde, en mars 2025.

D'autant, que pour Marc Trévidic, la généralisation des cours criminelles n'a pas été réalisée "pour des raisons de qualité mais pour faire passer plus de contentieux sans mettre d’argent". "C’est ensemble qu’on est bien, il faut les deux."

Multiplication des dénonciations de viol ou tentatives de viol

Dans un rapport publié le 9 juillet 2025, la mission d'information relative à l'évaluation de la création des cours criminelles départementales, à l'Assemblée nationale, préconise entre autres le passage de cinq à trois magistrats par cour criminelle "ainsi que la création d’une cour criminelle d’appel pour statuer sur les appels interjetés à l’encontre des décisions des cours criminelles".

Le rapport explique aussi que l'engorgement des cours criminelles réside - en partie - dans "l'explosion de la dénonciation des crimes de viol", avec une "hausse de 152% des faits de viol et de tentatives de viol dénoncés, passés de 16.900 en 2017 à 42.700 en 2023".

Le ministre démissionnaire de la Justice Gérald Darmanin prévoyait notamment, dans son projet de réforme du système judiciaire dont des pistes avaient été dévoilées cet été, la multiplication des cours criminelles par département, pour l'instant limitées à une; mais aussi d'étendre la compétence de celles-ci aux appels et en cas de récidive.

Marc Trévidic face aux GG - 03/10
Marc Trévidic face aux GG - 03/10
29:06

"Quand on finit à 2-3h du matin, on juge mal..."

Car les dossiers s'accumulent aussi en cour d'assises, à en croire l'ancien juge antiterroriste. "On finit à 2–3 h du matin, c’est un ras-le-bol général. On est tellement dans le boulot qu’on a du mal à prendre du recul et à réfléchir sur ce qu’on fait, sur les décisions qu’on prend", explique-t-il. "On juge mal à cause de ça : quand vous n’avez pas le temps de vraiment vous poser et de réfléchir, que vous êtes pris dans une sorte de frénésie… Si vous faites un délibéré avec des jurés d’assises à 1 h du matin, ce n’est pas de la même qualité que si vous le faites tranquillement dans la journée."

Léo Manson