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Abstention: "L’élection présidentielle écrase tout le système politique"

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Le grand vainqueur du deuxième tour des élections législatives, c’est l’abstention. Elle bat un nouveau record pour atteindre 57 à 58% des inscrits. Selon Bruno Cautrès, politologue, chercheur au Cevipof, c’est un grand défi pour la majorité d’Edouard Philippe.

Bruno Cautrès est politologue et chercheur au Cevipof.

"On n’a jamais vu de tels chiffres à des élections législatives. On arrive à des taux de participation qui sont ceux des élections européennes. Il y a une tendance de fond qui fait que l’élection présidentielle écrase tout le système politique. On n’a plus d’élections législatives qui peuvent servir de vote sanction, comme c’était le cas quand il y avait un écart de deux ans entre le mandat du président et celui de l’Assemblée nationale. Et en même temps, il y a la dynamique Macron et ce sentiment d’une bonne partie de l’électorat qui ne sait plus bien où sont les repères.

Ensuite, la question de la légitimité est une vraie question. Il faut éviter deux caricatures. Celle qui dirait ‘le nouveau pouvoir exécutif dispose d’un législatif avec une faible légitimité’. Et l’autre qui dirait ‘mais non il n’y a aucun souci, les députés ont été élus, ils vont se mettre au travail et faire la loi et les abstentionnistes n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes’. Sur la légitimité, on est dans les deux à la fois du point de vue des conséquences de ce taux de participation.

"Sur la légitimité politique, il y a un souci"

On ne peut pas contester la légitimité formelle, institutionnelle des députés élus. Par contre, la légitimité politique pour légiférer sur des enjeux comme la réforme des retraites ou celles du contrat de travail, là il y a un souci. Quand on légifère et qu’on a moins de la moitié des électeurs qui sont venus voter pour installer le législateur, on ne peut pas dire que ça ne pose pas un problème politique. Le législateur entend légiférer au nom du peuple français.

L’autre problème tient au discours de renouvellement d’Emmanuel Macron. Il n’a pas cessé d’expliquer qu’il allait revitaliser le rôle du Parlement, que celui-ci disposerait de davantage de moyens de contrôle de l’exécutif. On a potentiellement une contradiction entre le message de renouvellement d'Emmanuel Macron d’un coté, et la combinaison d'une très large victoire qui repose sur moins de la moitié des électeurs de l'autre côté.

"Comment faire vivre la contradiction dans cette assemblée dominée largement par un seul mouvement politique?"

Ultérieurement, là où ça peut poser des problèmes au gouvernement d’Edouard Philippe, c’est lorsqu’il va proposer les projets de loi sur des thèmes extrêmement sensibles. Comment faire vivre la contradiction et un débat pluraliste dans cette assemblée dominée largement par un seul mouvement politique? Comment donner le sentiment aux Français qu’on légifère mais en ayant le souci du consensus? Pour Emmanuel Macron et Edouard Philippe, il faudra trouver des solutions pour ne pas s’enfoncer dans cette contradiction.

La semaine dernière Edouard Philippe a eu cette drôle de conclusion du 1er tour: "Tout ça veut dire que les Français veulent qu’on accélère les réformes". C’est tentant quand on a le volant et toutes les manettes. Mais l’idée d’Emmanuel Macron c’est quand même celle d’une démocratie sociale ressourcée. Comment on dialogue avec les organisations syndicales? Comment on montre à l’opposition qu’on fait vivre le débat? Pour le moment on ne sait pas bien, mais il faut montrer aux Français qu’on va se saisir de la situation et ne pas se dire ‘on a l’Assemblée nationale on va pouvoir appuyer sur les réformes sans concertation'".

Propos recueillis par Antoine Maes