Jacques Delors : pourquoi a-t-il marqué l'histoire de l'Europe et de la gauche?

Le 27 décembre, à l’annonce du décès de Jacques Delors à l’âge de 98 ans, c’est toute une période de l’histoire politique française qui s’éteint avec lui. Ministre de l’Economie, des Finances et du Budget au début des années 1980, il s’agissait là du seul homme politique à avoir renoncé à devenir président alors qu’il avait les plus grandes chances d’être élu.
L’homme qui refusé l’Elysée
En 1994, le règne de François Mitterrand prend fin et deux personnalités se dessinent pour représenter la droite : Jacques Chirac et Edouard Balladur. Sauf que tous les sondages indiquent que Jacques Delors a le plus de chances d’accéder à l’Elysée. Une éventualité qui ne plaît guère à l’intéressé. Après avoir fait durer le suspense à l’antenne dans l’émission 7 sur 7 d’Anne Sinclair, il déclare : “J’ai décidé de ne pas être candidat à la présidence de la République”.
Ses raisons sont personnelles et politiques. A l’époque, Jacques Delors se sentait trop vieux à l’âge de 70 ans, son épouse aurait été contre l’idée et il aurait souffert d’un mal de dos handicapant. Pour le reste, il craignait de ne pas pouvoir appliquer la politique qu’il voulait, en raison d’un parti socialiste trop à gauche.
Un frein pour la gauche
En ce qui concerne la gauche, Jacques Delors est considéré comme celui qui a mis fin aux rêves du mouvement de gauche. Douze ans plus tôt, alors qu’il est ministre des finances de François Mitterrand, le franc était attaqué et il avait fallu le dévaluer plusieurs fois. L’inflation s’élevait à 14%, les déficits se creusaient, les nationalisations avaient coûté cher, tout comme l’augmentation du Smic.
Persuadé que l’économie français va à sa perte, Jacques Delors menace de démissionner. Il finit toutefois par convaincre François Mitterrand de faire une pause dans les réformes. Cette période est appelée le tournant de la rigueur en 1983. Les prix et les salaires sont bloqués, les déficits sont réduits… De quoi donner le sentiment à la gauche de l’empêcher d’atteindre ses objectifs.
Un chef d’Etat à Bruxelles
François Mitterrand lui propose un peu plus tard de devenir premier ministre, mais Jacques Delors préférait garder la main sur les finances. Un souhait impossible. C’est finalement Laurent Fabius qui s’installe à Matignon, et Jacques Delors quitte le gouvernement. En 1985, il est nommé président de la Commission européenne. Farouchement européen, il rêve d’une monnaie et d’une défense commune, mais se heurte à Margaret Thatcher et aux allemands très attachés au deutschemark.
Jacques Delors parvient plutôt à instaurer le marché unique et met ainsi fin aux taxes entre les pays européens. Il est aussi l’initiateur du traité de Maastricht qui crée l’union monétaire. Ces décisions ouvrent la voie à la naissance de l’Euro.
Resté 10 ans en poste à Bruxelles, il avait le rang d’un chef d’Etat et a été fait citoyen d’honneur de l’Europe. Seuls deux autres hommes politiques ont reçu ce titre : Jean Monnet et Helmut Kohl.
Plus récemment, en 2011, il vécut la primaire socialiste d’une façon particulière. Sa fille aînée, Martine Aubry, affrontait son fils spirituel, François Hollande, qui considérait Jacques Delors comme son père. Un face-à-face remporté par le second.