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Législatives: pourquoi n'avoir aucune majorité à l'Assemblée conduirait à l'impasse

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Les élections législatives risquent de ne déboucher sur aucune majorité claire à l'Assemblée. En quoi cette situation conduirait-elle à un blocage? "Notre Constitution ne pourrait pas la gérer", selon Benjamin Morel, constitutionnaliste.

Après les législatives anticipées, le blocage? Le dernier sondage Elabe pour BFMTV et La Tribune Dimanche, publié mercredi 12 juin 2024, donne une future Assemblée nationale, élue au soir du 7 juillet prochain, ingouvernable. Elle serait, à ce stade, composée d'une majorité de députés RN (avec 31% d'intentions de vote au premier tour, selon le sondage), d'un peu moins de députés de la coalition de gauche (28% pour ce "nouveau Front populaire"), et de députés issus du macronisme (18% pour Renaissance et leurs alliés).

Ainsi, aucun groupe n'aurait les moyens de gouverner. Et il ne pourra pas y avoir une nouvelle dissolution dans l'année qui suit ces élections, comme le stipule l'article 12 de la Constitution. Que se passerait-il alors, dans un tel cas? L'impasse.

"Notre Constitution a été faite, pensée, construite par Michel Debré, pour gérer des majorités dites relatives, comme ce qu'on connaît de 2022 à aujourd'hui", explique ce jeudi Benjamin Morel, constitutionnaliste et maître de conférences à l’université Paris 2-Panthéon-Assas. En revanche, "elle ne peut pas gérer une absence totale de majorité", poursuit-il, dans Apolline Matin sur RMC et RMC Story.

Le parti-pris : Élections législatives, aucune majorité à l'Assemblée ? - 13/06
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Autrement dit, en Ve République: l'absence de majorité absolue, sans problème; mais l'absence de majorité tout court, blocage. Et pour cause, cela est lié au mécanisme des votes au sein de l'hémicycle.

"Si une motion de censure peut passer, on est bloqués"

S'il y a "un groupe majoritaire, mais qui n'a pas la majorité absolue, et des groupes qui s'abstiennent, ça tient", explique Benjamin Morel. Il prend l'exemple de "l'ancienne législature, où Ensemble (Renaissance, Horizons et MoDem) votait les textes et Les Républicains s'abstenaient sur les motions de censure" à l'encontre du gouvernement.

Par contre, s'il n'y a "pas de majorité du tout", cela expose l'exécutif à des motions de censure "qui peuvent passer". Or, "à ce moment-là, on est réellement bloqués". Par exemple: "Admettons que le 7 juillet, Emmanuel Macron nomme Gabriel Attal (RE) Premier ministre: motion de censure, il tombe en une semaine. Il nomme ensuite Jordan Bardella (RN), premier groupe a priori dans le Parlement: il tombe en une semaine. Puis Mathilde Panot (LFI): elle tombe également en une semaine", illustre l'expert de la Constitution.

Pour rappel, le président peut nommer qui il veut en tant que Premier ministre, si tant est que ce dernier ne refuse pas. Il n'est pas obligatoirement "contraint de nommer le chef de l'opposition", souligne Benjamin Morel. Le chef du gouvernement n'est pas obligé, lui, de prononcer un discours de politique général suivi d'un vote de défiance. Mais il faut "qu'une fois qu'il est nommé, il ne subisse pas de motion de censure". C'est là que ça se complique, sans majorité à l'Assemblée.

En résumé, "quand une motion de censure peut passer, on est bloqués". Le professeur poursuit: "Le gouvernement minoritaire Rocard (1988-1993) tenait parce que les communistes et les centristes s'abstenaient. De 2022 à aujourd'hui, les LR s'abstenaient, donc ça tenait". Or, après les prochaines législatives, en fonction de la composition de l'hémicycle, "ça ne sera pas forcément le cas".

La démission du président comme seule solution?

Reste une hypothèse. Emmanuel Macron a affirmé ce mercredi qu'il n'était pas question d'une démission et qu'il irait au bout de son mandat. Mais, si le scénario de gouvernements tombant les uns après les autres se produit, n'aura-t-il pas que cette seule carte dans sa manche?

"Ça ne changerait fondamentalement pas la donne", tranche Benjamin Morel sur RMC. "Alors, il y a une ambiguité: est-ce qu'un nouveau président de la République pourrait à nouveau dissoudre ou pas?" admet le constitutionnaliste. Mais avec un autre chef de l'Etat, "le problème serait le même: pas de majorité pour soutenir un gouvernement, quel qu'il soit".

Le politiste rappelle au passage que la Constitution dispose que le maximum est de deux mandats successifs: "Il est clair que si Emmanuel Macron démissionne, il ne pourra pas se représenter, pas tout de suite en tous cas", et ce même si son deuxième mandat ne serait pas "purgé" (soit mené à son terme). "Il n'y a pas d'ambigüité là-dessus, les constitutionnalistes sont d'accord", d'après lui.

"La situation la plus handicapante pour le pays"

"Le seul scénario avec lequel on peut faire un parallèle est celui des gouvernements techniques, en Italie, où ils sont assez spécialistes pour ne jamais trouver de majorité", analyse encore le professeur.

"Donc vous nommez 'un vieux sage' au-dessus des partis et vous attendez qu'il fasse l'unanimité, de l'extrême droite à l'extrême gauche, pour ne rien faire."

"Mais sans aucun programme politique, parce qu'on n'est pas d'accord dessus. Donc on expédie les affaires courantes, le temps d'avoir une majorité, de pouvoir dissoudre, ou que tout à coup une coalition improbable se crée", poursuit Benjamin Morel, qui conclut: "Donc c'est du temps perdu, et la situation la plus handicapante pour le pays."

Maxime Ponsot