Loi Duplomb: la réintroduction d'un pesticide interdit censurée par le Conseil constitutionnel

Une pancarte avec le message Loi Duplomb danger, avec un dessin de tête de mort, lors de la manifestation contre la loi Duplomb, à Paris, France, le 8 juillet 2025. - HENRIQUE CAMPOS / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
Les Sages ont rendu ce jeudi à 19h leurs conclusions très attendues sur la loi Duplomb. Ils ont censuré la réintroduction d'un pesticide interdit de la famille des néonicotinoïdes, la disposition la plus contestée dans le texte de loi, la jugeant contraire à la Charte de l'environnement.
Emmanuel Macron a "pris bonne note de la décision du Conseil constitutionnel" et "promulguera la loi" selon l'Elysée, "dans les meilleurs délais".
Procédure conforme
Le Conseil constitutionnel a, au contraire, validé les simplifications administratives accordées aux plus gros élevages, ainsi qu'à la construction d'ouvrages de stockage d'eau à finalité agricole, avec néanmoins quelques réserves pour cette deuxième mesure.
Il a également estimé que la procédure d'adoption du texte, qui avait été rejeté par ses propres défenseurs à l'Assemblée, était conforme à la Constitution.
Leurs décisions étaient attendues sur la réintroduction sous conditions d'un pesticide interdit, ainsi que sur trois autres textes, notamment la réforme du scrutin municipal à Paris, Lyon et Marseille qu'ils ont notamment validé.
Rassemblement à 16h
Présentée comme une réponse aux grandes manifestations agricoles de 2024, la loi Duplomb a été l'objet d'un fort mouvement de contestation malgré l'été, poussé par les défenseurs de l'environnement. Une pétition réclamant son abrogation a réuni plus de 2,1 millions de signatures.
Un rassemblement se tient depuis 16H00 devant le Conseil constitutionnel à l'initiative du collectif opposé à cette loi et représentant les signataires de la pétition.
En cause notamment: la réintroduction à titre dérogatoire de l'acétamipride, un pesticide de la famille des néonicotinoïdes. Il est interdit depuis 2018 en France mais autorisé ailleurs en Europe. Nocif pour la biodiversité, le retour de l'acétamipride est réclamé par certains producteurs de betteraves et de noisettes.
Incidences sur la biodiversité
Le Conseil constitutionnel, présidé depuis peu par Richard Ferrand, a du ainsi rendre une décision sous pression à la fois de l'opinion et du monde agricole. Il a finalement estimé que "faute d'encadrement suffisant", cette mesure était contraire au "cadre défini par sa jurisprudence, découlant de la Charte de l'environnement", selon un communiqué. Cette charte a valeur constitutionnelle.
Dans leur décision, les Sages rappellent que les néonicotinoïdes "ont des incidences sur la biodiversité, en particulier pour les insectes pollinisateurs et les oiseaux" et "induisent des risques pour la santé humaine".
En 2020, ils avaient consenti à une dérogation temporaire à leur interdiction, cantonnée à la filière des betteraves et à l'enrobage des semences. Cette fois, le Conseil constitutionnel censure la dérogation introduite dans la loi en relevant qu'elle n'est pas limitée dans le temps, ni à une filière particulière, et concerne aussi la pulvérisation, qui présente des risque élevés de dispersion des substances.
En introduisant une telle dérogation, le législateur "a privé de garanties légales le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé garanti par l'article 1er de la Charte de l'environnement", écrivent les Sages dans leur décision.
Ils ont par ailleurs censuré des dispositions qui concernaient la répression de certains infractions environnementales, considérées comme "cavalier législatif", c'est-à-dire sans lien suffisant avec le texte initial.
La gauche condamne
Présentée comme l'une des réponses aux grandes manifestations agricoles de 2024, la loi Duplomb avait été adoptée avec les voix de la coalition gouvernementale et de l'extrême droite.
La gauche, vent debout, avait saisi le Conseil constitutionnel. Outre certaines dispositions, elle contestait la procédure utilisée à l'Assemblée pour faire adopter le texte. Ses défenseurs l'avaient eux-mêmes rejeté d'emblée pour contourner les quelque 3.500 amendements déposés - dont beaucoup par les écologistes et les Insoumis - empêchant leur examen dans l'hémicycle.
Mais le Conseil constitutionnel a estimé que l'adoption de cette motion de rejet préalable "n'a méconnu ni le droit d'amendement, ni les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire". Le bon déroulement du débat démocratique suppose que "parlementaires comme gouvernement puissent utiliser sans entrave les procédures" à leur disposition, relève-t-il.
Pour la FNSEA, cette décision est "un choc, inacceptable et incompréhensible". Le syndicat demandait le retour de ce pesticide interdit pour protéger des filières agricoles "en danger". La Confédération paysanne, troisième syndicat agricole, a, elle, salué une "victoire d'étape", appelant à "continuer de mettre la pression pour obtenir une réorientation des politiques agricoles".
15 jours pour promulguer
Concernant les mesures sur certains ouvrages de stockage d'eau avec une finalité agricole, pour lesquels la loi Duplomb prévoit notamment une présomption d'intérêt général majeur, le Conseil constitutionnel a émis deux réserves d'interprétation.
Les mesures adoptées ne doivent pas permettre de prélèvement dans des nappes inertielles - qui se vident ou se remplissent lentement - et devront pouvoir être contestées devant un juge.
Les Sages ont enfin validé sans réserve des dispositions très attendues par certains agriculteurs concernant les élevages de porcs ou de volailles, qui à partir d'un certain nombre d'animaux doivent demander une autorisation préalable. La loi prévoit notamment le relèvement de ces seuils.
Emmanuel Macron a désormais quinze jours pour promulguer la loi.
Le Conseil constitutionnel a rendu ce jeudi trois autres décisions. Il a validé les lois de "refondation" de Mayotte ainsi que la réforme du scrutin municipal à Paris, Lyon et Marseille. Il a en revanche censuré l'allongement de la durée de maintien en centre de rétention administrative (CRA) de certains étrangers.