RMC
Politique

Pourquoi Matignon choisit une société étrangère pour surveiller les réseaux sociaux des Français?

placeholder video
Matignon a choisi de confier la veille des réseaux sociaux des Français à une société étrangère. Une décision que les services du Premier ministre François Bayrou assument et expliquent mais qui pose des questions de souveraineté alors que la nouvelle entreprise en charge de cette mission pourrait utiliser ces données contre le gouvernement français.

Pour surveiller les réseaux sociaux, sentir l’opinion, Matignon choisit... une société étrangère. Une décision qui pose de nombreuses questions. Une entreprise étrangère peut-elle prendre le pouls de la société française? C'est en tout cas ce que pense le Service d’information du gouvernement (le SIG), placé sous le contrôle du Premier ministre François Bayrou. Cet organe est chargé de ce que l’on appelle le "social listening", la veille numérique, l’analyse de l’opinion sur les réseaux sociaux.

X, Facebook, Instagram, Tiktok, cela fait 8 ans que ce travail est confié à une entreprise française, Visibrain. Le contrat s’est achevé, un appel d’offres lancé. Et a donc remporté par Talkwalker, une entreprise canadienne, dont les fonds sont américains.

Une mission ultra stratégique, des données sensibles

Et Talkwalker aura une mission ultra stratégique, faire remonter les sujets les plus commentés, les sujets de préoccupation des Français, les mots-clés les plus utilisés. Mais aussi sentir, prévenir et donc anticiper de potentielles situations de crises.

L'entreprise aura donc accès à des données ultra sensibles, puisque l’outil sera mis à disposition de Matignon et de tous les services de l’Etat: l’Economie, l’Intérieur, les Armées. Il sera aussi mis à disposition de l’agence de lutte contre les ingérences étrangères.

Pourquoi cette entreprise a été choisie?

Si cette entreprise a obtenu les faveurs de Matignon, c'est parce que Talkwalker, ce n'est pas cher. Et dans le contexte de restrictions budgétaires, ça aide. C’est simple, l’entreprise contrôlée par les Américains était 3 fois moins cher que les autres candidats. Même Matignon, joint par RMC, avance cet argument. Visibrain, qui détenait le marché jusque-là a eu beau baisser ses prestations, ça n’a pas fait le poids. Le Français était pourtant mieux classé d’un point de vue technique !

Et cela pose aujourd'hui une question d'efficacité. L'entreprise choisie n’a pas la capacité de scruter tous les réseaux sociaux. Il est impossible notamment de surveiller Tiktok, alors même qu’une veille du réseau social était bien stipulée dans l’appel d’offres.

Elle s’est visiblement engagée à s’y mettre dans les prochains moins. Reste que ce prix au rabais et les doutes sur la pertinence technique, ont poussé le prestataire français historique de Matignon à déposer un recours devant le tribunal administratif. Sans obtenir gain de cause.

La matinale 100% info et auditeurs. Tous les matins, Apolline de Malherbe décrypte l'actualité du jour dans la bonne humeur, avec un journal toutes les demies-heures, Charles Magnien, le relais des auditeurs, Emmanuel Lechypre pour l'économie, et Matthieu Belliard pour ses explications quotidennes. L'humoriste Arnaud Demanche vient compléter la bande avec deux rendez-vous à 7h20 et 8h20.
Le dossier compliqué par Hélène Terzian : Matignon confie la veille des réseaux sociaux à l'étranger - 19/06
3:41

Des données sensibles utilisées pour faire pression?

Matignon assure à RMC que tout est dans les clous juridiquement et que l’entreprise choisie est "soumise aux règles européennes de protection des données personnelles et du secret des affaires". Ensuite, conformément au Code de la commande publique, il n’y a pas de "préférence nationale" dans l’attribution d’un appel d’offres. Enfin, le SIG explique au Parisien que "les données couvertes par l’appel d’offres ne présentent pas une sensibilité particulière pour l’État, puisqu’elles sont publiques", les auteurs consentant à les publier sur leurs réseaux.

Mais ça ne rassure pas forcément les services de l’Etat. Certains fonctionnaires font part de leur préoccupation et redoutent d’utiliser un outil passé sous pavillon étranger. Le député Modem, Philippe Latombe, en pointe sur la question, explique à RMC que certains pensent déjà à ne pas utiliser ce nouveau service. Le même élu a d’ailleurs interpellé la ministre en charge du numérique Clara Chappaz.

Des experts sur les questions de souveraineté s’interrogent, des informations sensibles pourraient être utilisées pour déstabiliser le gouvernement.

Ils voient le danger du côté des Etats-Unis. Et en ligne de mire, le "Cloud act". Depuis 2018, ce dispositif peut obliger n’importe quelle entreprise américaine à fournir ses données au gouvernement américain et peu importe si les données sont collectées sur le sol européen, et auprès de services étatiques sensibles. On est bien loin des appels à la souveraineté numérique martelé par le gouvernement français.

Hélène Terzian