"La sécurité ne justifie pas tout": les couvre-feux pour mineurs dénoncés par la LDH et des syndicats

Censé se terminer ce lundi matin à 6h, le couvre-feu imposé aux mineurs à Nîmes est finalement prolongé. Jusqu'au 18 août, dans 4 quartiers prioritaires, il sera toujours interdit aux jeunes de moins de 16 ans de sortir de chez eux après 21h. Une décision justifiée par "des circonstances de dangerosité et d'insécurité qui menacent encore", selon la mairie.
Cet été, plusieurs autres villes françaises ont décidé de mettre en place un tel couvre-feu, à l'instar de Carpentras (Vaucluse), Béziers (Hérault), Triel-sur-Seine (Yvelines), Villecresnes (Val-de-Marne) ou encore Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis).
Mesures liberticides
Mais cette mesure, dont l'efficacité reste difficile à mesurer, est décriée par certaines associations et syndicats. Ces couvre-feux sont régulièrement attaqués en justice, notamment par la Ligue des droits de l'Homme (LDH).
Dans un communiqué commun, plusieurs syndicats du monde judiciaire dénoncent des mesures liberticides.
"Le couvre-feu ce n'est pas de la prévention, c'est de la sanction, de la contrainte physique. On dit à ces jeunes 'vous restez chez vous', mais qu'est-ce qu'on leur propose?"
"Vous avez des enfants qui ne peuvent pas partir en vacances, qu'est-ce qu'on leur propose?", déplore Marc Hernandez, co-secrétaire national du Syndicat des personnels de l’éducation et du social de la protection judiciaire de la jeunesse.
"Pas normal"
Ces critiques agacent un peu Cédric Aoun, le maire de Triel-sur-Seine (Yvelines): "Il faudrait les interroger pour voir s'ils trouvent ça normal qu'un enfant de 15 ans soit dehors à 2h du matin ou pas. Et je pense que tout le monde dira que 'non, ce n'est pas normal'".
Après une hausse des incivilités commises par des mineurs, cette ville des Yvelines a mis en place des restrictions. Les moins de 18 ans ne peuvent plus être dans la rue après 23h sans une attestation. De quoi responsabiliser aussi les parents: "On a mis en place une attestation donc ce n'est pas une mesure liberticide. Il est important que les parents puissent éduquer correctement leurs enfants, ce n'était plus le cas".
"Ils n'ont plus trop de leviers, nous l'idée c'était de leur en redonner un et je ne vois pas le problème", défend le maire.
"La sécurité ne justifie pas tout"
Des arrêtés municipaux régulièrement attaqués, et parfois suspendus par la justice. Nathalie Tehio, avocate et présidente de la Ligue des droits de l’Homme, s'oppose aux couvre-feux qui se multiplient cet été, en lien avec "les municipales" qui approchent, selon elle.
"Pour nous, c'est surtout une opération de communication, on ne voit pas en quoi ils vont dans le sens de la sécurité, et de toute façon la sécurité ne justifie pas tout", explique-t-elle sur RMC.
Car, pour cette avocate, il y a d'autres mesures qui sont possibles, notamment "la police peut raccompagner l'enfant chez les parents, surtout les très jeunes", et c'est d'ailleurs "son rôle" de les raccompagner et "d'essayer de comprendre ce qu'il se passe".
"L'arrêté c'est uniquement pour prendre de la répression, pour qu'il y ait une contravention derrière à régler", souffle Nathalie Tehio.
Elle interroge: "est-ce qu'il y en a vraiment beaucoup qui sont dehors sans surveillance, sans l'entourage qui soit présent? Je doute fort. Ce n'est pas ce qui est indiqué dans les arrêtés pour les justifier".
Une répression des quartiers populaires
Pour Nîmes, c'est à cause du narcotrafic, "comme si c'étaient les mineurs qui étaient responsables". Elle poursuit: "Il va y avoir de la canicule en plus, donc vous allez devoir rester enfermés à partir de 21h alors qu'il fait encore jour".
Quant aux parents, pour Nathalie Tehio, "le problème c'est qu'ils se sentent abandonnés". Alors que le rôle de l'Etat est de "protéger la population", là "il y a une faillite". Et "ce ne sont sûrement pas les maires avec leurs pauvres moyens locaux qui vont pouvoir intervenir, avec de la répression", avance-t-elle.
"Il y a une répression vis-à-vis de tous les jeunes, uniquement dans les quartiers populaires. Donc on est en train de stigmatiser des quartiers populaires en enfermant, en assignant à résidence tous les jeunes", dénonce la présidente de la Ligue des droits de l’Homme.
Et si les parents ont besoin d'un soutien pour les aider à ce que les enfants ne sortent pas, "il y a d'autres possibilités comme l'aide à la parentalité". "Pourquoi ne pas aider, soutenir et donner des moyens encore une fois à l'éducatif plutôt qu'au répressif?", demande-t-elle, invitée sur RMC.
"On va probablement l'attaquer"
Finalement, pour l'association, ces couvre-feux parfois ne sont "pas du tout nécessaires". En effet, "on voit des toutes petites villes où il ne se passe rien, avec un arrêté couvre-feu".
À Nîmes, cette mesure est en cours depuis le 21 juillet. Il est interdit aux mineurs de sortir non accompagnés entre 21h et 6h dans les quartiers les plus sensibles de la ville. Alors que 6 quartiers prioritaires étaient concernés par le premier arrêté, ils ne sont plus que 4 à compter de ce lundi: Pissevin, Mas de Mingue, Chemin-bas et Valdegour, qui sont régulièrement le théâtre de fusillades ou d'assassinats liés au trafic de stupéfiants.
La Ligue des droits de l’Homme n'avait pas attaqué en justice le premier arrêté "puisqu'il était pour très peu de temps et qu'il venait d'y avoir un certain nombre d'événements qui pouvaient créer un émoi". Mais le second, qui n'est pas encore publié, "on va probablement l'attaquer". "On évalue au niveau des circonstances locales si ça peut être justifié ou pas, mais nous n'attaquons pas systématiquement", conclut-elle.