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Embrasser son enfant sur la bouche: "Il faut éviter, ça a un caractère sexuel"

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Depuis une semaine, la polémique enfle sur les réseaux sociaux suite à la publication d'une photo montrant David Beckham en train d'embrasser sa fille sur la bouche. Que penser de cette pratique? Le pédopsychiatre Stéphane Clerget répond à RMC.fr.

Stéphane Clerget, pédopsychiatre, auteur du "Pédopsy de poche" (édition Marabout):

"Embrasser ses enfants sur la bouche est une pratique qui se développe de plus en plus. Depuis une dizaine d'années, on voit de plus en plus de parents qui effectivement embrassent leurs enfants sur la bouche alors qu'en France, et en Occident de manière plus générale, ce n'était pas du tout une pratique qui se faisait. Mais on peut s'interroger sur cette pratique, se demander quel est l'intérêt pour l'enfant d'être ainsi embrassé sur la bouche. En tout cas, il y a du plaisir de la part des parents qui le font. Ils le font parce qu'ils aiment bien et parce que c'est, pour eux, un moyen d'exprimer plus fortement encore leur attachement.

"Il ne faut pas qu'il y ait de dimension sexuelle avec son enfant"

Les enfants aussi ont du plaisir à cela parce que c'est une zone particulièrement sensible. C'est quelque chose d'agréable pour eux. Pour autant, il faut s'en priver ne serait-ce parce que, encore aujourd'hui, en Occident, le fait d'embrasser sur la bouche a un caractère sexuel. On embrasse son amoureux sur la bouche mais on n'embrasse pas sa voisine ou même son meilleur ami sur la bouche. Il y a donc une dimension particulière, amoureuse et sexuelle. On pourrait considérer que son enfant est la personne que l'on aime le plus au monde, mais c'est une personne vis-à-vis de laquelle il faut avoir un amour chaste. Il ne faut pas qu'il y ait de dimension sexuelle avec son enfant.

D'autant plus que l'enfant a conscience de ça. Il sait très bien que le bisou sur la bouche a une signification amoureuse. Ils font bien la différence entre le baiser avec leurs parents et le baiser sur la joue que leurs parents font à leurs amis. Ils comprennent bien ce lien-là. Du coup, ça ne les aide pas à se détacher amoureusement de leurs parents. Ça ne les aide pas à faire leur Œdipe. C'est donc un peu confusionnant pour eux et c'est pour cela doit être déconseillé. Au contraire, c'est important d'expliquer à son enfant pourquoi on ne l'embrasse pas sur la bouche. Lui dire qu'il pourra embrasser son mari ou sa femme sur la bouche mais que l'on ne s'embrasse pas ainsi entre parent et enfant.

"Il faut que le baiser sur la bouche reste le privilège des amoureux"

C'est aux parents d'éduquer les enfants et non l'inverse. C'est donc aux parents de montrer les limites. Il est évident que l'enfant, comme le disait Freud, est 'un pervers polymorphe': il va accepter tout ce qui lui est proposé. L'enfant commence à percevoir la différence des baisers, à percevoir le sens social du baiser sur la bouche dès 3 ans. Pour autant, nous, adultes, nous savons très bien ce que ça signifie, nous connaissons la différence. Ça ne me gênerait pas que des parents embrassent leur enfant sur la bouche s'ils faisaient de même avec le voisin, la voisine ou la nourrice. S'ils ne le font pas c'est qu'ils savent bien qu'embrasser son enfant sur la bouche est particulier. Ils ne laisseraient pas la nourrice ou le voisin le faire. Donc pourquoi eux-mêmes ne se mettent-ils pas des limites?

Embrasser son adolescent sur la bouche est bien évidemment encore plus grave. Consciemment, cela signifie qu'ils expriment leur amour. Inconsciemment, cela veut dire qu'il n'y a pas de limite à leur amour et que leur adolescent fait soit encore partie d'eux -ce qui voudrait dire qu'ils s'auto-embrassent-, soit qu'ils le considèrent comme un partenaire amoureux. Cela veut dire qu'ils ont du mal à renoncer à cet amour, à faire couple avec leur enfant. Il faut que le baiser sur la bouche reste le privilège des amoureux. Il faut donc mettre des limites le plus tôt possible pour qu'il prenne conscience qu'il y a des zones dans son corps qui sont sacrées, sexualisées".

Propos recueillis par Maxime Ricard