Laïcité à l'école: "On a peur d'être taxé de professeur islamophobe, raciste"

Une minute de silence est prévue ce lundi 14 octobre dans les collèges et lycées de France en hommage à Samuel Paty, tué et décapité en 2020 à Conflans-Sainte-Honorine, et Dominique Bernard, tué par un ancien élève radicalisé en 2023 à Arras.
Cet hommage est redouté par de nombreux professeurs à travers le pays, ces derniers craignant que ces minutes soient perturbées. Delphine Girard, professeure de lettres classiques dans un collège du Val-de-Marne et co-fondatrice du collectif "Vigilance collèges-lycées", regrette également qu'un débat ne soit pas obligatoire après ce recueillement qu'elle juge toutefois nécessaire. Une absence d'obligation qui en arrange beaucoup, accuse-t-elle.
"Je pense que malheureusement, beaucoup de professeurs ne sont pas particulièrement impliqués dans cette minute de silence. C'est un temps de recueillement absolument nécessaire mais qui a un rôle abstrait, lacunaire. Le rôle d'enseignant est de faire de la pédagogie. Il faut faire ce moment solennel, mais il est insuffisant pour s'impliquer pédagogiquement dans ce travail", juge-t-elle dans Apolline Matin sur RMC.
"Samuel Paty a été tué parce qu'il défendait la liberté d'expression et Dominique Bernard parce qu'il incarnait la transmission des valeurs laïques et de l'histoire républicaine. Il me semble que nous rendrions bien mieux hommage à leur engagement, à ce pourquoi ils sont morts, en poursuivant en classe ce travail de pédagogie qui était le leur", poursuit-elle.
"On y est encouragé mais ça n'a pas été institué. On nous suggère d'expliquer ce qu'il s'est passé, mais ça va être fait de manière extraordinairement parcellaire, et quasiment nulle part", tacle-t-elle, avant d'aborder les raisons de cette frilosité.
La peur du regard des autres profs
"Il y a un mélange d'inconfort plus que de peur. Un inconfort moral. Ce qui tue la laïcité dans les établissements scolaires, c'est moins le couteau des islamistes que la peur de l'anathème moral qu'on va subir en salles des profs."
"On a peur d'être taxé de professeur islamophobe, raciste", concède-t-elle. "De devoir expliquer que la laïcité n'est pas discriminatoire, mais tout au contraire."
"La doxa d'une certaine gauche voudrait que la laïcité soit islamophobe"
"Pour faire cette explication, la plupart des professeurs se sentent dans un inconfort moral et politique car la doxa d'une certaine gauche voudrait que la laïcité soit islamophobe, et tous les professeurs ne se sentent pas armés pour contredire cet argumentaire absolument faux. Et la deuxième raison, c'est qu'ils ont peur, une peur rationnelle, d'être cible de menaces", concède-t-elle.
"Ce mélange d'inconfort moral et politique, la peur de l'anathème moral qui va faire de vous un raciste alors que c'est tout le contraire, et cette peur de la menace font que les profs vont s'en tenir à la minute de silence et passer à autre chose", assure-t-elle.