"Le niveau est en chute libre, il faut cibler les métiers manuels": doit-on en finir avec le bac+5 ?

Vers la fin des thèses et des masters? Le sociologue Julien Damon, dans une tribune publiée par Les Échos, plaide pour réduire la durée des études supérieures afin de faciliter l’insertion professionnelle des jeunes, tout en allégeant le poids financier pour l’État.
En 1980, la France comptait un million d’étudiants, ils sont désormais trois millions. Cette augmentation engendre un taux d’emploi des 16-29 ans parmi les plus faibles d’Europe et une "surproduction d’élites supposées" qui peinent à s’insérer, constate Julien Damon. Selon lui, la poursuite d’études trop longues, pas toujours adaptées aux besoins du marché du travail, freine l’activité et génère de la frustration chez les jeunes diplômés.
"Le master ne vaut plus rien, tout le monde en a un"
Un constat partagé par l’économiste Pierre Rondeau. "Le taux de chômage des diplômés bac +5 est passé de 5% en 1998 à 12% aujourd’hui. La démocratisation du master a fait perdre sa valeur au diplôme: tout le monde en a un, mais il ne vaut plus rien sur le marché du travail", fait-il valoir ce mercredi sur RMC.
À ses yeux, cette inflation des diplômes entretient un décalage: des jeunes qui s’imaginent accéder à des postes à haute responsabilité refusent des emplois manuels ou artisanaux, parfois au prix d’un chômage prolongé ou de dettes contractées via des prêts étudiants.
"L’absence de méritocratie entraîne une chute du niveau des diplômés bac +5. Une étude de l’OCDE montre qu’1 diplômé sur 10 a le niveau d’écriture… d’un écolier en primaire", s'étrangle Pierre Rondeau.
"Le niveau est en chute libre. Il faut cibler davantage les métiers manuels et l’artisanat", répète-t-il.
Le nombre de chômeurs diplomés du supérieur a plus que doublé en 20 ans
Selon une note de la sous-direction des systèmes d’information et des études statistiques du ministère de l’enseignement supérieur, publiée en décembre 2023 et relayée par Le Monde, 75,1 % des diplômés de 2021 en master (hors master de l’enseignement, de l’éducation et de la formation) occupent un emploi salarié dix-huit mois après la fin de leurs études. "Ce sont les diplômés en droit, en économie et en gestion qui s’insèrent le mieux (taux d’emploi de 77,1 % à dix-huit mois) et le plus rapidement", peut-on lire. "Le taux de chômage des bac + 5 était de 5 % en 1998 contre 9 % pour la génération 2017."
"Le taux de chômage des jeunes diplômés est stable mais la hausse du nombre de jeunes chômeurs diplômés du supérieur est spectaculaire: en 20 ans, il a été multiplié par 2,5, de 186.000 à 460.000, du fait de la croissance des effectifs de diplômés. Depuis 2020, on compte presque autant de chômeurs diplômés au-delà de bac +2 que de non-diplômés", rapportait en 2023 l'Observatoire des inégalités.
Le travail manuel "dévalorisé"?
"Nous avons besoin de cotisants, de jeunes qui entrent tôt sur le marché du travail pour cotiser longtemps. Il faut arrêter le pédagogisme de la philosophie éducative française, hélas inspirée par la gauche, qui valorise à tout prix les études supérieures et dévalorise le travail manuel", peste de son côté Périco Légasse, toujours dans Estelle Midi. "Il faut des scientifiques, mais les universités devraient former uniquement selon les besoins réels du pays, c'est un système qui créé des frustrations", croit-il savoir.
"Moins d’étudiants, c’est plus d’actifs et moins de frustration", conceptualise le sociologue Julien Damon
Julien Damon rejoint cette analyse en soulignant que l’extension des études n’a pas garanti une hausse proportionnelle des compétences ou des positions sociales. Ce dernier cite l’économiste américain Bryan Caplan, qui estime que l’enseignement supérieur sert surtout de “signal” pour les employeurs, plus que de réel outil de formation.
"Vous n'avez rien fait"
"En général, on me dit que j'ai trop de diplômes et que je n'ai pas assez d'expérience. On valorise extrêmement l'alternance pendant nos études et quand on arrive sur le marché du travail, on me dit 'bah oui, mais vous avez rien fait', témoignait dépitée en mai dernier une jeune diplômée, auprès de Radio France.
Viens donc l’idée d’une “démassification” à savoir limiter la durée des études à deux ou trois ans pour la majorité des filières, à l’exception des disciplines nécessitant une formation longue (médecine, sciences fondamentales). Une telle réforme permettrait d’augmenter le nombre d’actifs, de réduire les dépenses d’éducation et d’orienter davantage vers des métiers où les besoins sont criants, notamment dans l’artisanat et le secteur manuel, étaye le sociologue.