Fin des imams détachés: "Le séparatisme se développe plus sur les réseaux" prévient l'imam de Bordeaux

C'était une des promesses d'Emmanuel Macron en 2020 pour lutter contre le "séparatisme" islamiste. Depuis ce 1er janvier, la France n'accepte plus de nouveaux imams "détachés", ces imams envoyés et rémunérés par d'autres pays. Les pays concernés, l'Algérie, le Maroc et la Turquie, ont déjà été prévenus par le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin dans une lettre en décembre dernier que leurs ressortissants en pourraient plus exercer à partir du 1er avril 2024.
Aujourd’hui on compterait encore 160 imams détachés en France, uniquement des Algériens et des Turcs alors que les 27 marocains ont déjà été pris en charge par des associations. Concernant la soixantaine d’imams turcs, leur gouvernement envisage leur rapatriement d’ici le 1er avril. S’agissant de l’Algérie qui rémunère 120 imams, ceux qui souhaiteraient rester en France abandonneraient leur statut de fonctionnaire dans leur pays.
Resterait aussi à les salarier et cela dépend des fonds que récolte chaque mosquée. Mais la poursuite de leur activité dépend aussi de l’obtention d’un diplôme comme l’explique à RMC Abdallah Zekri, vice-président du Conseil Français du culte musulman: "Les imams qui vont rester en France, il faut qu'ils parlent Français. Certains s'inscrivent dans les universités pour connaître les valeurs de la République, la laïcité et apprendre la langue française. Il y a donc des conditions pour qu'ils restent en France".
A ce jour, 31 formations inter-religieuses existent en France, ainsi que quelques formations privées, mais de l’avis général cela ne suffira pas pour alimenter les 2800 lieux de cultes musulmans recensés sur le territoire.
"Les imams sont devenus des youtubeurs et des influenceurs avec des buts lucratifs"
"C'est une toute petite partie de la solution", assure de son côté Tareq Oubrou, l'imam de la mosquée de Bordeaux. "Si on veut lutter contre le séparatisme, il faut un traitement plus symptomatique et théologique. Le séparatisme se développe plus sur les réseaux sociaux que dans les mosquées, au sein de communautés virtuelles plutôt que physiques et collectives", prévient-t-il.
"On ne traite qu'en surface. Les imams sont devenus des youtubeurs et des influenceurs avec des buts lucratifs", ajoute Tareq Oubrou.
"Il faut revoir notre copie théologique. Il y a un retard historique de l'installation de l'islam en France. Aujourd'hui, on a plutôt un islam maghrébin et turc de France plutôt qu'un islam de France", explique l'imam de Bordeaux.
"Ce sont ceux qui financent les mosquées qui les contrôlent, pas les imams"
"Ce n'est pas une solution", abonde Florence Bergeaud-Blackler, chargée de recherche au CNRS, qui rappelle que les imams détachés ne représentent que 10% des imams de France. "Le fait d'empêcher le contrôle des mosquées par l'étranger ne va rien résoudre, s'il s'agit simplement de contrôler des imams. Ce sont ceux qui financent les mosquées qui contrôlent, pas les imams qui ne sont des guides de prière".
Quant à l'autre objectif de cette promesse du président de la République, celui de lutter contre le radicalisme, "il ne sera pas atteint", assure Florence Bergeaud-Blackler: "Les imams formés en France sont tout aussi rigoristes que les imams détachés".
Selon elle, le problème du radicalisme ne concerne par que les imams et les mosquées. Elle assure que l'islam est sorti des mosquées pour entrer dans "les syndicats, les universités, les associations, salles de sport, la mode, et toute l'économie du halal", en raison de l'action des Frères Musulmans. Pour Florence Bergeaud-Blackler la fin des imams détachés "va plutôt favoriser l'islam frériste, mouvement mondialisé qui cherche lui à se détacher de toute tutelle étatique".