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L'orthorexie, cette pathologie qui force à manger "sain" à s'en rendre malade

Des fruits frais et des légumes à Washington DC, le 27 juillet 2017.

Des fruits frais et des légumes à Washington DC, le 27 juillet 2017. - Paul J Richards - AFP

Moins connue que d'autres troubles du comportement alimentaire, l'orthorexie consiste à manger "diététiquement" jusqu'à s'en rendre malade. Une pathologie qui se développe notamment avec la méfiance envers la nourriture parfois trop transformée qui se retrouve dans nos assiettes. Daniel Rigaud, professeur de nutrition et spécialiste des troubles alimentaires, explique à RMC.fr ce qu'est l'orthorexie.

Daniel Rigaud, professeur de nutrition et spécialiste des troubles alimentaires, président de l'association Autrement.

"L’orthorexie est une vraie maladie, moins rare qu’on ne le croit. C’est une pathologie reconnue, qui fait l’objet de publications internationales, d’une définition et d’un questionnaire qui permet d’amener au diagnostic. Elle se définit comme un besoin compulsif de ne manger absolument que ce qui est 'diététiquement correct', en supprimant de son alimentation tout ce qui est susceptible de nuire à la santé et ne s'autorisant jamais un écart.

Il faut bien séparer deux choses. L'orthorexie qui pourrait être assez banalisée: dans un monde où on nous parle sans arrêt des aliments bons ou mauvais pour la santé, certains se méfient d’un certain nombre d’aliments mais peuvent quand même en manger de temps en temps.

Et puis il y a l’orthorexie au stade maladie, qui devient un trouble du comportement alimentaire (TCA): là on est devant un comportement compulsif, qui conduit les personnes à scruter de façon quasi-obsessionnelle l’ensemble des choses qui pourraient être interdites et qui finissent par exclure de plus en plus d’aliments.

J’ai vu en consultation une femme d’une quarantaine d’années qui avait décidé qu’elle avait mal au ventre à cause du gluten. Au départ, l’assertion était proposée par un médecin gastro-entérologue alors qu’il n’y avait aucune raison de dire à cette malade qu’elle était intolérante au gluten. Donc elle a commencé par supprimer les aliments riches en gluten, ce qui en soi est concevable, puis après elle a traqué le gluten partout, y compris sur Internet, s’apercevant qu’il pouvait même y avoir du gluten dans les fruits, dans le riz, qu’il y en avait bien sûr dans les plats cuisinés... Elle avait fini par ne plus rien manger à cause du gluten, alors qu’au départ elle n’avait aucune pathologie.

Six gousses d'ail par jour

L’orthorexie, c’est aussi manger diététiquement, mais consommer certains aliments d’une manière étrange. Je pense par exemple à une femme d’une trentaine d’années qui consommait entre deux et six gousses d’ail par jour, parce que 'c’est bon pour la santé'. En soi, je n'y vois pas d’inconvénient, mais ça lui donnait une haleine un peu particulière, les gens étaient surpris.

C’est un comportement qui nie les contraintes et les obligations sociales et qui devient obsessionnel, pourrissant la vie des malades. Le problème est qu’à l’heure actuelle il y a peu de gens qui connaissent l’orthorexie, en particulier en France.

Ça se soigne par un médecin compétent, qui a à la fois des connaissances psychologiques et nutritionnelles. Pour certains, cela pourrait être un duo, avec d’un côté un diététicien qui connaît les TCA, l’orthorexie et un peu la thérapie comportementale, et de l’autre un psy. En sachant que pour beaucoup de ces personnes orthorexiques, derrière il y a de l’anxiété, des antécédents de TOC, un traumatisme unique ou à répétition…

Il y a deux questions à se poser: est-ce que c’est la simple conséquence de prescriptions médicales ou de recherches sur Internet qui ont convaincu la personne, auquel cas on pourra facilement la convaincre du contraire et la remettre dans le raisonnable, ou est-ce que c’est vraiment une orthorexie maladive qui demandera un travail de plusieurs mois, voire plusieurs années?

On peut imaginer que l’orthorexie existe depuis longtemps, mais cela fait 15 ans maximum que des gens viennent me consulter spécifiquement pour ça. J’ai tendance à penser que c’est nouveau pour deux raisons principales: l’explosion de l’offre alimentaire, qui peut être anxiogène, et les injonctions paradoxales des médias qui répercutent considérablement le message de danger lié à l’alimentation. Des gens un peu anxieux, obsessionnels, rebondissent là dessus pour s’en saisir, se l’approprier et en devenir obsédés."

Propos recueillis par Liv Audigane