Nicolas Demorand se confie sur sa bipolarité: "Il y a, autour de la maladie mentale, une honte, une suspicion"

"J'avais honte". Nicolas Demorand le répète, au micro des Grandes Gueules, lundi. Le journaliste de France Inter avait "honte" de souffrir de bipolarité. Mais il a réussi à en sortir pour écrire un témoignage poignant dans son livre Intérieur nuit (éd. Babelio). Il y explique être "bipolaire de type 2" et raconte tout son parcours de "malade mental".
"Un bipolaire est quelqu'un dont l'humeur varie de manière très forte et très régulière. C'est un yoyo", explique Nicolas Demorand, sur RMC. Cette maladie provoque chez les personnes atteintes des "phases d'euphorie" et des "phases de dépression" qui peuvent être extrêmes d'un côté comme de l'autre.
"Un mensonge perpétuel"
En se confiant ainsi dans son livre, le présentateur de la matinale de France Inter voulait "revendiquer" son statut de bipolaire, de "malade mental": "Ce n'est pas une insulte, c'est quelque chose que j'ai voulu revendiquer parce que c'est la vérité et cette vérité est impossible à dire ou à entendre aujourd'hui en France."
"Il y a, autour de la maladie mentale, une honte, une suspicion", souligne-t-il.
Nicolas Demorand parle d'un "mensonge perpétuel très lourd à assumer". Son récit lui a permis d'en sortir. "J'ai écrit ce livre pour moi d'abord, parce qu'il fallait que quelque chose qui m'étouffait sorte et soit formulée", confie-t-il. Le journaliste avait parfois l'impression d'être "un malade imaginaire".
Cette mauvaise image de lui-même qu'il ressentait s'explique en partie par les fausses idées véhiculées dans la société sur les personnes bipolaires. Des préjugés sur les causes de cette maladie font porter la responsabilité aux patients, alors que ce n'est pas le cas. Plusieurs facteurs, biologiques, psychologiques et sociaux peuvent favoriser son apparition.
Un diagnostic au bout de 9 ans en moyenne
Son livre, Nicolas Demorand l'a "aussi écrit pour les autres". Pour les autres, parce que les malades atteints de bipolarité sont diagnostiqués très tardivement. En moyenne au bout de 9 ans, selon Santé Publique France. Lui a eu droit à un diagnostic il y a 8 ans. Il "ne faisait aucun doute", mais ce dernier a été "dur à avaler".
"C'est une maladie dont on ne guérit pas. C'est une maladie qui vous suit, vous harcèle, qui vous dépossède d'une partie de vous-même, qui implique de prendre des médicaments à vie", raconte froidement Nicolas Demorand.
Le journaliste a tout tenté, pendant des années. Il se rappelle d'une vie avant le diagnostic très compliquée, accompagnée d'une "souffrance pure". "Quand vous n'êtes pas diagnostiqué, on ne vous donne pas les bons médicaments", explique-t-il. Lorsqu'il se rendait chez le médecin généraliste, avec des signes de dépression, ce dernier lui prescrivait des produits qui empiraient sa bipolarité, le rendant encore plus euphorique dans ses "phases hautes".
Ces périodes d'euphorie sont difficilement explicables et peuvent être difficiles à comprendre pour les personnes qui ne sont pas concernées par cette maladie. Nicolas Demorand parle d'un "sentiment de surpuissance". "Vous parlez de plus en plus vite, vous réfléchissez vite, vous pouvez avoir 10.000 projets en même temps. Vous dépensez de l'argent, vous consommez de l'alcool. Vous avez un rapport toxique à l'excès. C'est ça la phase maniaque", décrit le journaliste.
Des pensées suicidaires
L'alternance entre les phases hautes et basses est souvent compliquée à gérer pour les patients, puisqu'elles arrivent souvent, très rapidement et dans de grandes proportions. "Que ce soit sur le plan de la vie amoureuse ou de la vie familiale, c'est extrêmement difficile puisque vous avez une personne dont le visage change très rapidement. Vous pivotez d'une phase à l'autre parfois en quelques heures, et à ce moment-là, les gens qui vivent avec vous se disent 'mais qui est cette personne'", raconte Nicolas Demorand.
"Le bipolaire parle de lui, mais il ne voit pas les dégâts qu'il cause autour de lui."
Face à l'échec des médecins généralistes, Nicolas Demorand s'est tourné vers les "psychanalystes", qui n'ont "pas marché" non plus. Des errances médicales au terme desquelles "on souffre, on n'est toujours pas soigné". Une situation qui a pu provoquer chez lui des pensées suicidaires:
"Vous vous dîtes dans votre cerveau tordu par la douleur 'je vais me foutre en l'air pour arrêter de souffrir'. Ce n'est pas que je n'ai pas envie de vivre, c'est que je n'en peux plus de souffrir", reconnaît-il.
La solution, pour Nicolas Demorand, est venue de l'hôpital Sainte-Anne, une clinique de santé mentale à Paris. Aujourd'hui, il prend sa "poignée de médicaments quotidienne", une dizaine, va mieux, mais "continue d'avoir des variations d'humeur".
La radio, son "exosquelette"
Son traitement lui apporte de la stabilité, essentielle pour soigner la bipolarité, selon lui. "Le mode de vie est une autre forme de stabilité", ajoute-t-il. Présentateur de la matinale sur la radio France Inter, son métier est "la définition la plus extrême de la stabilité". Tout est "très cadré" et organisé "à la minute" près.
"La radio, je la définis comme mon exosquelette, comme un robot qui soutient et qui est là pour pallier tous mes manques et mes faiblesses", résume-t-il.
De nombreux patients souffrant de bipolarité sont dans le même cas. Aide-soignante en Ehpad, Françoise confie, sur RMC, qu'elle "tient" également grâce à son métier et "les responsabilités" que ça lui confère. Diagnostiqué à 61 ans, il y a seulement un an, elle a été "soulagée" par le diagnostic. "J'ai compris plein de choses qui s'étaient passées dans ma vie. Le problème, c'est de le faire comprendre à l'entourage. Ça n'excuse pas, mais ça explique", confesse-t-elle.
Jean-Baptiste, lui aussi, a dû attendre de nombreuses années avant d'obtenir un diagnostic. "Je me suis fait diagnostiquer à 42 ans, il y a deux ans. Ça a changé ma vie", révèle-t-il au micro des GG. Un vrai soulagement pour lui, qui vivait des "phases d'euphorie et de dépression dix fois par jour" dans "une vie très fatigante".
Des mesures qui tardent à intervenir
Aujourd'hui, au niveau international, un adulte sur 150 vit avec un trouble bipolaire. L'Organisation mondiale de la santé fait de ce dernier la sixième cause mondiale de handicap.
En France, Michel Barnier avait déclaré, en octobre alors qu'il était encore Premier ministre, vouloir faire "de la santé mentale la 'Grande cause nationale 2025'". Mais pour l'instant, cette volonté est difficilement vérifiable selon Nicolas Demorand: "On est à la moitié de l'année, je ne sais pas si vous avez vu des choses, mais moi pas."
Des associations et des dispositifs existent néanmoins en France pour les personnes souffrant de troubles psychologiques. Le dispositif Mon Soutien psy permet à toute personne, dès l’âge de 3 ans, présentant des troubles psychiques d’intensité légère à modérée, de bénéficier de 12 séances d’accompagnement psychologique par an prises en charge à 60% par l’Assurance maladie.