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Pourquoi il est difficile de compter le nombre réel de morts du coronavirus

Le directeur général de la Santé a donné hier soir le dernier bilan de l'épidémie. 1.696 morts, 365 de plus en 24 heures. Sauf que désormais, on sait que ces chiffres sont très inférieurs à la réalité.

Depuis trois jours, Jérôme Salomon ne donne plus le nombre de morts quotidiens, mais le nombre de décès en milieux hospitalier. Et il a indiqué lundi que cela ne représentait qu’une faible part de la réalité.

Ne sont pas comptés, les morts dans les Ehpad, ni les morts à domicile. Sur les morts à la maison, aucune indication n’est disponible pour le moment. Pour les Ehpad, un décompte devrait être fait dans les 72 heures. Mais pour l’instant, il n’y a que des données très parcellaires parce que ces maisons de retraites ne sont pas reliées au logiciel des hôpitaux, le Sivic qui a été conçu pour compter les victimes des attentats ou des épidémies exceptionnelles. Et surtout parce que les tests ne sont pas systématiquement faits dans les Ehpad, avant ou après la mort. On demande à ces établissements de tester leurs deux ou trois premiers décès seulement. Après, pour les autres, on suppose que c’est le coronavirus sans être obligé de le prouver.

Une nouvelle méthode

Les vrais chiffres seront disponibles dans quelques semaines avec une toute autre méthode. Tous les décès sont en effet déclarés à l’état civil, puis transmis à l’Insee, l’Institut de la statistique. L’Insee calcule alors la surmortalité, c’est à dire la différence entre mars 2020, ce que nous vivons, et mars de l’année dernière, et des années précédentes. Et de façon statistique, on saura alors combien de personnes ont été tuées par ce virus, dans quelle région, dans quelle tranche d'âge. Il faut compter 15 jours pour avoir les premières données brutes, mais beaucoup plus longtemps avant que les chercheurs et les statisticiens ne les analysent sérieusement.

C’est comme cela que l’on sait que la grippe saisonnière fait tous les ans autour de 10.000 morts en France, alors que les chiffres déclarés par les hôpitaux en temps réel sont très très inférieurs. D’autant que les morts de la grippe saisonnières ne doivent pas obligatoirement être déclarés par les hôpitaux. 

Déjà un décalage pour la canicule de 2003

Le même décalage avait été constaté au moment de la canicule de 2003. En août 2003, les urgentistes avaient d’abord donné l’alerte, signalant simplement que les morgues étaient pleines. On se souvient des coups de gueule d’un jeune urgentiste inconnu nommé Patrick Pelloux.

Il avait fallu réquisitionner un hangar réfrigéré à Rungis pour entasser les cadavres. Les autorités n’avaient pas réagi tout de suite parce qu’aucun instrument ne leur donnait le compte des victimes. Le ministre de la Santé et le directeur général de la Santé avaient ensuite dû démissionner. Et à Rungis, il était finalement resté 57 cadavres que personne n'était venu chercher. Ils avaient été enterrés tous ensemble en présence de Jacques Chirac.

Mais quel était le vrai bilan de cette canicule? 15 jours plus tard, un premier chiffre avait été donné par l’Insee: 11.000 morts. Puis plusieurs années après, des chercheurs de l’Inserm ont refait les comptes et sont arrivés au chiffres de 19.490. Tout cela pour dire que compter les morts est un travail long et difficile.

Une grippe mortelle dont personne n'a parlé

Et lors de la très grave épidémie de 1970, les morts n’avaient simplement pas été comptés. L'épidémie de la grippe de Hong Kong a fait deux fois le tour du monde entre 1968 et 1970 et a fait un million de morts dans le monde selon l’OMS. Mais la France n’a été touchée réellement que pendant deux mois, à la fin, en décembre 69 et janvier 70. Des premières estimations ont été faites: autour de 15.000 morts en deux mois. Mais trente ans après les comptes ont été refaits au début des années 2000. Et le vrai bilan était deux fois plus élevé: 31.226 morts.

Mais le plus incroyable, c’est que personne ne s’en était aperçu. Quelques médecins avaient crié au secours mais sans être entendus. Dans les journaux de l’époque, on trouve de très courts articles. Ils signalent la fermeture des écoles dans certaines régions, ou bien des soucis à la SNCF qui compte 10% de malades parmi ses salariés, mais c’est tout. L’affaire est traitée avec légèreté et même parfois avec ironie.

Le 18 décembre 69, Le Monde avait titré en page intérieure: "L'épidémie de grippe régresse". Alors qu’en réalité, elle faisait 1.000 morts par jour, dans l’indifférence générale. Personne n’avait rien vu, ni pensé à reprocher quoi que ce soit aux autorités politiques.

Peu de morts pendant les épidémies de Sras et de grippe aviaire

A l’inverse, des épidémies récentes ont provoqué d'énormes paniques mais finalement peu de morts. Par exemple le SRAS en 2003, un virus très proche du coronavirus. Parti de Chine, il a touché les Etats-Unis et le Canada. Grosse émotion mondiale pendant des semaines. Mais finalement 774 morts en tout.

L'année suivante, c'est la grippe aviaire, la grippe des oiseaux qui avait muté et qui se transmettait à l’homme. Panique générale, partout on a prévu le pire. L’OMS a fait des prévisions allant jusqu'à 300 millions de morts.

Et finalement il ne s'est rien passé ou presque, sauf pour les canards sauvages. En tout et sur plusieurs années, cette grippe aviaire a tué moins de 250 personnes. Mais là encore, les vrais chiffres ne sont arrivés que bien plus tard.

Nicolas Poincaré