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Sécurité routière: faut-il interdire les portables aux piétons?

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Près de 10% des accidents corporels sont liés à l'usage du téléphone portable. Et si l'on met souvent en garde les automobilistes sur les dangers de l'utilisation du smartphone au volant, la police de Tours a voulu sensibiliser aussi les piétons avec un clip choc. Le nez sur leur petit écran ou distrait par la musique dans les écouteurs, ils sont, de fait, moins vigilants et plus exposés à un potentiel accident.

A Paris, près d'un piéton sur six traverse la route en utilisant son téléphone portable. Un comportement à risque de plus en plus répandu dans les grandes villes. A tel point que les municipalités réfléchissent à des solutions. Ainsi, à Honolulu (Hawaï), traverser la rue le nez sur votre smartphone est interdit et coûtera 35 dollars au contrevenant. Si l'interdiction du téléphone au passage piéton n'est pas d'actualité en France, la police de Tours a lancé une campagne de prévention à destination des piétons accros à leur téléphone. Une campagne locale qui devrait s'étendre au niveau national dans les prochains mois.

Michel Beaume est chef du service d'ordre public et de sécurité routière d'Indre-et-Loire. Son service est à l'origine de la campagne de prévention diffusée à Tours.

"On a constaté une augmentation significative du nombre d'accidents corporels de la circulation impliquant des piétons. Et on s'est aperçus que dans une majorité des accidents, il y avait un rôle important du portable en utilisation SMS, communication ou en écoute musicale. Les plus touchés sont les 15-25 ans mais ça touche tous les âges. Il est certain que les jeunes qui sont bercés dans cette ère numérique sont plus touchés que les gens plus âgés.

Seule la prévention est possible, il n'y a aucune répression possible sur un piéton qui est dans sa bulle parce qu'il regarde son téléphone portable. Certains pays du monde réfléchissent à une interdiction du portable, certains états américains délivrent des amendes, mais ça me paraît très compliqué.

Depuis que la campagne a été lancée on a énormément de gens qui réagissent. Des automobilistes nous ont dit avoir peur quand ils voient des gens le nez dans leur téléphone au bord de la route. Et des piétons admettent aussi s'être déjà fait klaxonner par un tram ou un bus parce qu'ils traversaient sans regarder.

Nous avons monté cette campagne au niveau de Tours mais elle sera mise à la disposition de tous les commissariats de France. Et vu le nombre d'appels que l'on reçoit, elle devrait intéresser beaucoup de services. Si on a un chauffeur sur son téléphone et un piéton également sur son téléphone, le risque d'éviter l'accident est nul et on a une collision systématique".

Philippe, 37 ans, est chauffeur de bus dans le Val d'Oise.

"Moi ça fait plus de huit ans que je suis chauffeur de bus. Et depuis deux ans, c'est très fréquent. Dès qu'on voit quelqu'un qui a son téléphone à la main, on fait attention. Avant, le téléphone ce n'était que pour téléphoner. Maintenant les gens regardent un film, ils jouent à des jeux... Du coup, ils sont fixés sur leur téléphone et ils ne calculent plus rien. Pour ces gens-là, le téléphone c'est Dieu. Le trottoir fait 2 mètres de large et ils marchent juste sur le bord. Ils frôlent la route.

Tu fais attention à ne pas les taper. Et parfois, ils traversent carrément. Il m'est arrivé ça il y a une semaine, je me suis arrêté à 5cm de la personne. Chaque semaine, ça arrive au moins quatre ou cinq fois. Ce ne sont pas que des jeunes, mais c'est la majorité. En plus je suis sur une ligne où j'ai deux collèges et un lycée. Un klaxon de bus, ça marche bien. Parfois, je fais exprès de leur faire peur, parce qu'ils ne se rendent pas compte qu'ils peuvent passer sous mon bus".

Jean-Paul Lechevalier est président de l'association Les droits des piétons.

"Il y a quelques années, nous avions déjà sorti un petit fascicule sur les conseils de prudence pour les piétons en ville dans lequel on alertait sur le danger de regarder son téléphone à une intersection. C'était il y a 6-7 ans, c'est encore plus actuel maintenant!

Mais à part de la sensibilisation, il n'y a pas grand-chose à faire. La verbalisation ce serait irréaliste. On pourrait interdire, mais c'est bidon d'interdire si on ne peut pas réprimer les infractions. Les forces de police ont aujourd'hui des missions très difficiles, mais pas celle d'être à chaque feu rouge.

La seule manière raisonnable c'est de faire de l'information. A Honolulu, ils ont de la chance, ils ont des policiers pour faire ça, mais chez nous, c'est totalement exclu. Ici, les forces de police ont autre chose à faire, c'est irréaliste.

Après, la verbalisation électronique devrait se développer. Mais quand on sait qu'une amende pour un piéton qui traverse hors des clous s'élève à 4 euros, ce serait grotesque. Un policier ne va pas verbaliser pour si peu. Notre système de verbalisation n'est pas adapté".

Propos recueillis par Paulina Benavente (avec A.M.)