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1 cigarette sur 2 serait achetée hors des bureaux de tabac: "La peur doit changer de camp", réclament les buralistes

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Une étude révèle que de plus en plus de cigarettes fumées en France proviennent du marché noir. Pour Philippe Coy, Président de la Confédération des buralistes, le vrai danger, c'est "le trafic de la criminalité derrière le tabac".

De plus en plus de cigarettes fumées en France proviennent du marché noir. C'est, en tous cas, ce que dit une étude du cabinet KPMG commandée par le géant du tabac Philip Morris. Des chiffres toutefois supérieurs à ceux de Santé publique France.

Selon cette enquête, en 2024, près d’une cigarette sur deux a été achetée en dehors du réseau des buralistes (49,4%). Un chiffre surévalué, assure l'Alliance contre le tabac, qui dénonce une manipulation du lobby du tabac pour freiner les politiques de hausse du prix des paquets.

Un marché parallèle "polyforme"

Selon les dernières données de Santé publique France, en 2022, 80% des fumeurs continuaient d’acheter leurs cigarettes chez un buraliste. Un chiffre stable depuis plus de 10 ans. Et c'est ce chiffre que Philippe Coy, président de la Confédération des buralistes, préfère croire: "Je penche du côté du bon sens, du commerçant que je suis comme les 23.000 buralistes en France".

"Il suffit de regarder une terrasse de café, le paquet français c’est le paquet neutre, le paquet de l'étranger est de couleur. A chaque porte de métro vous verrez des vendeurs de tabac, sur les réseaux sociaux des offres de tabac, c’est une triste réalité aujourd’hui que nous dénonçons", explique-t-il.

Pour lui, le marché parallèle est "polyforme": "c’est celui à la frontière et celui du trafic”.

Acheter à l'étranger : légal, mais...

Les consommateurs sont pourtant nombreux à reconnaître ne plus acheter leurs paquets dans les bureaux de tabac. À Toulouse par exemple, dans la rue, en plein jour, ce n'est pas compliqué de se procurer des paquets de cigarettes deux fois moins chers que chez un buraliste. Omar est un client régulier du marché noir: "Pour moi, c’est moins cher. 7 ou 8 euros le paquet, je le prends. Le goût et la qualité de la cigarette sont différents, mais c’est normal".

Certains n'hésitent pas à parcourir 150 km pour acheter plusieurs cartouches à moitié prix en Espagne ou en Andorre comme Blandine: "Étant donné que je fume un paquet tous les deux jours, oui, 13 balles le paquet, ça fait cher. Donc il m’arrive d’aller en Espagne pour acheter mes cartouches".

"Même s’il y a le trajet et l’essence à payer, cela revient moins cher d’aller acheter plusieurs cartouches là-bas", ajoute Virginie.

Pour Philippe Coy, "ils ont le droit", mais en respectant le seuil autorisé par la communauté européenne. En Espagne ou Italie par exemple, c’est jusqu'à 4 cartouches "si c'est pour votre consommation et des produits de la même référence". Attention, car "la douane peut vous contrôler à tout moment avec des faisceaux d’indices. Si vous ramenez pour votre tante ou votre femme, c’est du trafic, du commerce illicite", ajoute-t-il.

La trafic de la criminalité

Tout cela n’est pas sans conséquences pour les buralistes. Guy-Loïc Richard est installé à Seysses, à 30 km de Toulouse: "Il y a trois ans quand j’ai repris le magasin, mon activité c’était 70% sur les cigarettes, aujourd’hui c’est 30%." Alors pour ne pas être impacté, Guy-Loïc, qui emploie 5 salariés, a dû réagir: "On s’est mis à vendre du vin, du snacking, des bijoux, de l’épicerie fine, on n'a pas le choix". En 2005, le département de la Haute-Garonne comptait 350 buralistes. 20 ans plus tard, 70 d’entre eux ont mis la clé sous la porte.

Et pour le Président de la Confédération des buralistes, "le plus grand préjudice c'est le trafic de la criminalité derrière le tabac".

"Je suis commerçant frontalier, et ça fait 20 ans que je ne vois pas mes clients arrêter de fumer. Maintenant, ils fument des paquets ‘Puede Matar’, c’est ça la réalité", raconte-t-il.

"Les plus modestes ont choisi la fin du mois"

En effet, la "prévalence tabagique" n'a "malheureusement pratiquement pas baissé", sauf dans la catégorie des jeunes "dont on peut se féliciter". Aujourd'hui, 31,1% des 18-75 ans déclarent fumer. 23,1% fument quotidiennement selon l'OFDT et Santé publique France.

"Les catégories les plus exposées, les Français les plus modestes, eux, ont recours à un achat illégal car entre fin de mois et fin du monde, ils ont choisi la fin du mois", regrette Philippe Coy.

Et il le rappelle, le seul réseau légal est celui des buralistes: "on se bat contre tout le marché illégal, ça peut être des importations ou des produits manufacturés. Pour moi, ça a le même goût, la même saveur, la même inquiétude. Le tabac qui n’est pas acheté dans le réseau officiel, c’est un contournement des politiques de santé publique". Un contournement qui représenterait 5 milliards d'euros "de fuite", dit-il, "un drame pour notre réseau de proximité".

"Ils ont trouvé ce contournement, car le prix est prohibitif, punitif. Nous sommes les seuls à avoir fait cette politique du prix qui a fait fuir nos clients et qui a installé un danger: la criminalité", analyse-t-il.
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Distributeurs de nicotine

Alors, il veut continuer à se battre pour que ce réseau de buralistes "travaille sereinement et de façon objective". Et cela passe par l'évolution du métier également. Ce n'est pas un souci pour le Président de la Confédération des buralistes: "la transformation est au cœur de nos actualités, nous sommes avant tout des commerçants d’utilité locale mais doit-on pour cela accepter ce trafic devant nos établissements? Ce n’est pas possible, la peur doit changer de camp".

"Il est vrai que notre métier aujourd’hui, c'est la distribution du tabac mais plus loin aussi, la distribution de la nicotine, par d’autres offres comme le vapotage”.

Alors, il se dit "ouvert pour que ce commerce alternatif au cigarettes soit pérennisé". Si les buralistes sont capables d'offrir des offres alternatives, "je ne vois pas d'ombres à mon métier. Il doit évoluer. On est distributeur de nicotine aujourd'hui”.

Avec pour mot d'ordre: "luttons efficacement contre tous les trafics, parce que c’est là l’enjeu de santé publique". Dès le 1er juillet déjà, le gouvernement va interdire de fumer dans les lieux publics extérieurs où peuvent se trouver des enfants, comme "les plages, parcs et jardins publics, abords des écoles, abris de bus, équipements sportifs", a indiqué la ministre Catherine Vautrin le 29 mai.

SG avec Jean-Wilfrid Forquès