Pourquoi les syndicats procèdent à des coupures d'électricité ciblées
La mobilisation contre la réforme des retraites se poursuit ce samedi avec une nouvelle journée de manifestations partout en France. Depuis mardi, de nombreuses actions se sont succédées entre blocages de rond-point, grèves dans les raffineries et à la SNCF, mais aussi... un mode d'action plus polémique comme les coupures sauvages d'électricité.
La CGT Energie avait promis une semaine noire et ses militants ont mis hors tension de nombreuses zones partout sur le territoire: l'aéroport de Toulouse-Blagnac, des radars automatiques dans les Ardennes, la mairie de Thionville et plusieurs permanences de députés, entre autres.
Le point d'orgue de ces mobilisations est cette opération préparée dans le plus grand secret en Ile-de-France, jeudi en fin de matinée quand 300 électriciens et gaziers habillés du gilet rouge de la CGT pénètrent dans un poste source géré par RTE et Enedis, un centre de distribution d'électricité qui fournit le chantier du village olympique des Jeux olympiques de Paris 2024.
Une dizaine d'agents cagoulés et protégés des regards pénètrent dans un bâtiment puis en ressortent quelques instants plus tard sous les vivats après avoir ouvert "le disjoncteur d'arrivée haute tension", nous explique un des grévistes.
"Tout le chantier du village olympique est coupé, la zone commerciale autour et trois datas center", ajoute-t-il.
Les grévistes quittent ensuite les lieux dans le calme, à la demande des forces de l'ordre. L'opération est réussie pour les syndicalistes, à une exception, puisqu'outre le chantier des Jeux olympiques, ils visaient de couper l'alimentation du Stade de France, le stade olympique des Jeux olympiques. Mais la ligne électrique qui l'alimentait n'a pas été coupée. Les plans du réseau n'étaient sans doute pas à jour, a reconnu la CGT.
Des actions illégales qui peuvent faire des dommages collatéraux
Ces actions sont symboliques, mais illégales. RTE et Enedis portent plainte à chaque coupure, mais les enquêtes n'aboutissent quasiment jamais, car les agents qui coupent le courant sont très difficilement identifiables. Il y a quelques jours, quatre anciens salariés de RTE sont passés au tribunal mais pour une action un peu différente: l'été dernier lors du conflit pour des augmentations salariales, ils avaient bloqué à distance des systèmes de communication sur le réseau. Ils ont été licenciés et le parquet a requis huit mois de prison avec sursis pour trois d'entre-eux.
Ces actions ont aussi des impacts. A chaque coupure, de nombreux foyers se retrouvent privés d'électricités. La CGT Energie dit viser les symboles du pouvoir ou du capital mais il y a des dommages collatéraux, comme cette semaine dans le Pas-de-Calais. L'Ehpad de Saint-Léonard, près de Boulogne sur Mer, et ses résidents, ont été plongés dans le noir une partie de la journée de mercredi.
“Le chauffage se coupe, les gens qui ont des matelas anti-escarre, pour préserver la qualité de peau, voient les matelas se dégonfler”, expliquait à RMC le directeur Simon Fournier alors qu'une résidente qui soutient pourtant le mouvement de grève estimait que ce n'est "pas comme ça" que cela doit se passer. "C'est honteux !" ajoute-t-elle.
La CGT Energie a finalement reconnu - officieusement en tout cas - être à l'origine de cette coupure. L'Ehpad n'était pas visé, des militants ont apporté des fleurs pour s'excuser.
"Les lignes qui sont alimentées, alimentent des quartiers. Il y a forcément des dommages collatéraux. On s'en excuse pleinement. Ce sont des actions symboliques, populaires, qui ne durent pas longtemps", justifie Sébastien Menesplier, n°1 fédéral de la branche énergie de la CGT.
Les coupures, tradition syndicale?
Ces coupures ne sont pas nouvelles dans le portefeuille d'actions syndicales en cas de mouvement social. Elles existent depuis longtemps. "Depuis plus de 100 ans" précise le sociologue Stéphane Sirot, spécialiste des mouvements sociaux.
Mais les pratiques ont changé depuis quelques années. Il y a désormais moins de coupures à grande échelle, comme en août 1953, lorsque toute la capitale est plongée dans le noir quartier par quartier, mais plus de coupures ciblées, symboliques, spectaculaires. On note aussi l'émergence des "Robin des bois" quand des agents rétablissent le courant dans des foyers en difficulté financière.
La raison de ces changements, pour Stéphane Sirot, tiennent au fait que les syndicats cherchent "absolument" à avoir "le soutien de l'opinion publique" et que des actions plus spectaculaires permettent aussi "de de médiatiser le conflit: Il n'y a rien de pire pour un conflit social que de passer inaperçu."
Les prochains jours pourraient conduire à une nouvelle montée en puissance de ce type d'action, Les syndicats de la CGT Energie ont prévenu qu'ils en avaient encore sous le pied et que la procédure accélérée au Sénat, avec le "vote bloqué" décidé par le gouvernement, poussait "à l'escalade de la colère", disent-ils.