Grève des poubelles à Marseille: pourquoi les éboueurs de la ville ont-ils un statut si particulier?

Polémique à Marseille après le désastre écologique. Des milliers de tonnes d’ordures, qui s’amoncelaient à cause de la grève des éboueurs, se sont déversées dans la mer. Des voix s'élèvent pour dénoncer le manque d’anticipation. Parce qu’on aurait peut-être pu empêcher la rivière d’ordure qui a traversé Marseille lundi et la marée noire de déchets que l’on a retrouvée sur les plages mardi.
La grève des éboueurs s’est terminée vendredi et le travail à, aussitôt repris, mais au rythme normal qui n’a pas permis de résorber les dizaines de milliers de tonnes accumulées depuis 10 jours. Lors des précédents conflits, l’accord de fin de grève prévoyait trois tournées par jour à la reprise, le matin, l'après-midi et le soir à 22 heures.
>> A LIRE AUSSI - "Des milliers de mégots arrivent en mer": après les intempéries dans le sud-est, des craintes d'un désastre écologique à Marseille
Ça n'a pas été le cas, le week-end dernier. D'où les reproches adressés par la mairie de Marseille à la présidente de la métropole, Martine Vassale qui a la compétence du ramassage des ordures. Les élus se renvoient la balle.
Derrière ce conflit, se cache surtout l'éternelle question du statut des éboueurs de Marseille
Des éboueurs qui travaillent vite, très vite et forcément… mal. Ils ont obtenu il y a des décennies de fonctionner selon le système du fini-parti. Dès que la tournée est effectuée, ils peuvent rentrer chez eux. La mairie estime qu’ils travaillent en moyenne trois heures trente par jour.
Pour appliquer une loi nationale d’harmonisation de la fonction publique, il a été question de les faire travailler 35 heures par semaine dès le 1er janvier prochain.
Finalement, après 10 jours de grèves, ils ont obtenu, environ 31 heures par semaines et le maintien d’un repos compensatoire de 28 jours par an. Plus le fait qu’il n’y aura pas de pointeuse et pas de contrôle du temps de travail effectif.
D'où vient ce statut particulier des éboueurs à Marseille?
Alors pour comprendre, il faut remonter à l'après-guerre et à l’époque de la guerre froide. Dans les années 50, la CGT communiste contrôle le port de Marseille, qui lui-même contrôle le commerce avec les colonies françaises. Le maire de Marseille Gaston Defferre est un socialiste viscéralement anti-communiste. Avec l’aide de la CIA américaine, il va tenter de déloger la CGT du port et d’implanter un nouveau syndicat Force Ouvrière.
Mais l'opération échoue. Le port reste un bastion de la CGT et il l’est encore aujourd’hui. En revanche FO au passage s’implante en force à la mairie, et dans les hôpitaux, les écoles, les crèches, les musées.
En 1962, la CGT tente d’organiser une grève du ramassage des ordures. La mairie et Force Ouvrière passent un pacte. Le patron des éboueurs FO, qui est un ancien voyou, enfonce physiquement les piquets de grève avec des gros bras pour sortir les bennes. C’est le début de la lune de miel entre la mairie et le syndicat qui dure encore aujourd’hui.
On parle d’une co-gestion de la ville
Force ouvrière compte toujours 10.000 adhérents parmi les fonctionnaires territoriaux. 75% des voix aux élections ce qui permet de contrôler les commissions paritaires là où se décident les promotions, les embauches, l'organisation des services, le temps de travail… On dit qu'à la mairie de Marseille, le vrai pouvoir ne se trouve pas dans le grand bureau du maire au 1er étage, mais dans les locaux de Force Ouvrière au sous-sol.
C’est un univers de magouille et de clientélisme. On a découvert un jour que 90 salariés ont touché deux salaires pendant plus de 30 ans. Un comme employé municipal et un deuxième comme employé de la mutuelle de FO.
Patrick Menucci, ancien candidat socialiste à la mairie de Marseille, dénonce un état dans l’état. Le journaliste marseillais José d’Arrigo a décrit ce système dans son livre, “Marseille Mafia”. Il estime qu’aujourd’hui encore, le patron local de FO, Patrick Rué est, dans les faits, le véritable maire de Marseille.