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Guerre, sanctions… ce qu’il faut savoir sur les conséquences possibles de la crise en Ukraine

Dans "Apolline Matin" ce mardi sur RMC et RMC Story, Pierre Servent, expert en stratégie militaire et auteur de "50 nuances de guerre", a exposé les possibles conséquences de l’intervention russe en Ukraine.

Le discours de Vladimir Poutine contre l’Ukraine: "Le début d’une guerre possible"

"C’est le début d’une guerre possible. C’est très clairement une invasion sous couleur d’une protection et d’une libération. Ces derniers mois, Vladimir Poutine n’arrête pas de parler d’un génocide qui serait en train d’être pratiqué par Kiev dans le Donbass. C’est sous cette couverture, cet artifice, que les troupes russes sont en train de rentrer dans ce pays. L’étape d’après, c’est éventuellement une confrontation directe avec l’armée de Kiev, voire plus si Poutine a de l’appétit, à savoir poursuivre vers Marioupol. Les Russes encerclent pratiquement la mer d’Azov. Ça peut être un objectif stratégique. Les voies de la paix se réduisent considérablement."

"Les sécessionnistes n’occupent pas aujourd’hui la totalité des provinces du Donbass. Il y a une ligne de confrontation entre la partie qui reste aux mains de Kiev et celle qui est aux mains des sécessionnistes. La question, c’est : est-ce que Poutine va aller au combat contre l’armée ukrainienne pour conquérir complètement ces régions ?"

"A mon avis, le scénario sur Kiev n’est pas celui qu’il a en tête. C’est compliqué, il y aurait des pertes. Ce n’est pas un objectif stratégique véritablement intéressant pour lui. Là, il terrorise la région, lui qui se positionne sans cesse comme une victime, comme étant encerclé. Il montre que la Russie tsariste, la Russie soviétique, est de retour à travers des stratégies de violence, de prédation. Va-t-on avoir un engrenage, va-t-il pousser son effort sur Kiev ? Ce n’est pas le scénario que je privilégie. Mais on est dans une boite de Pandore, qui a été ouverte."

"(150.000 hommes pour envahir l’Ukraine ?) Je pense qu’il faudrait qu’il double pour avoir un ascendant. Il a toutes les capacités de battre l’armée ukrainienne, même si elle s’est beaucoup renforcée depuis l’annexion de la Crimée. En 2014, ils avaient moins de 10.000 hommes. Là, ils sont à 200.000 hommes. Les Américains leur ont fourni des missiles antichars. Et surtout, les Turcs ont fourni aux Ukrainiens des drones armés qui inquiètent Poutine. Les cyberattaques vont continuer à se développer contre les moyens militaires ukrainiens. Il y a aussi le fait d’avoir des sabotages. Les dépôts d’armes pourraient être frappés par les forces spéciales. Vous aurez toute une agitation guerrière. Est-ce qu’il va y avoir une étincelle à un moment qui va embraser tout le front, voire plus ?"

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La réaction des Occidentaux: "Personne n’ira mourir pour Kiev"

"Personne n’ira mourir pour Kiev. Aucun soldat de l’Otan, aucun soldat français. Les Français n’iront pas se battre en Ukraine. C’est terrible pour nos valeurs, mais il faut rappeler que la Russie est une puissance nucléaire. Poutine ne cesse de le rappeler. Si vous commencez à engager un bras de fer entre la France, puissance nucléaire, et la Russie, puissance nucléaire, le danger est très grand. Donc on revient aux sanctions. Mais Poutine s’en moque. L’Elysée a parlé de paranoïa après le discours de Poutine. C’est ce qui m’a frappé. Il est dans un délire de persécution, de menace. Les Américains n’ont rien à faire du Donbass et de l’Europe. C’est la Chine, leur problème. Les pays de l’Est sont entrés dans l’Otan pour être protégés face aux Russes. Vous croyez que les pays baltes ont envie d’envahir la Russie ? Poutine est dans une paranoïa mais il est sincère. C’est là le danger, il est sincère dans ce qu’il dit. Il menace dans son discours. Il est mentalement en posture de guerre."

"La Russie est déjà sous sanction depuis 2014 et ça n’a pas fait bouger Vladimir Poutine d’un poil. Les économies internationales sont imbriquées. Quand on va monter la garde sur les sanctions, les conséquences sur l’Europe vont toucher tout le monde. Les chancelleries regardent ça de très près. Vladimir Poutine est dans une telle posture de résilience paranoïaque qu’on pourra mettre tout ce qu’on veut sur la table, il s’en fiche. La Chine est en observation, elle pense à Taiwan et admire ce que Poutine est en train de faire. Il y a des conséquences considérables pour l’équilibre dans le monde et pour la paix."

La "paranoïa" de Vladimir Poutine

"J’avais suivi la conférence de presse Macron-Poutine. J’avais déjà été frappé par ce côté obsessionnel, de retour vers le passé. Le président Macron, d’une façon très pertinente, essayait de mettre sur la table une rationalisation des dossiers. Une approche cartésienne. Et de l’autre côté, on sentait déjà l’homme de guerre, qui bouillait, qui était dans la rancune, dans la paranoïa. Dans le discours d’hier, dire que l’Otan se prépare à coloniser l’Ukraine, à attaquer la Russie… Le truc incroyable, c’est que Poutine a ressuscité l’Otan, qui était en état de mort cérébrale. L’infirmier Poutine est rentré et a branché de multiples tuyaux. Et maintenant, l’Otan s’est ressoudé. Et des pays qui ne songeaient pas à l’Otan, comme la Finlande et la Suède, sont en train de se dire qu’ils vont peut-être rentrer. Poutine gagne tactiquement aujourd’hui, mais c’est une défaite stratégique pour lui."

"Il a déjà dépassé la ligne rouge. Il n’y a que lui qui sait les prochaines étapes. Ce seront de nouvelles provocations. Comme il se positionne comme un défenseur vertueux, il a besoin de garder la face. Il a monté une scénographie depuis plusieurs mois en jouant avec nos nerfs. La séquence diplomatique était pipeautée depuis le début. Je n’ai cessé de le dire. Il va continuer sur cette trajectoire. La question est de savoir si, un peu comme un joueur de poker, il a ramassé une belle mise et il se retire avec ses gains. Ou si, joueur et guerrier, il fait tapis et il repart."

LP