RMC

Charlie Hebdo, 3 ans après l'attentat: "Nos locaux, c’est un blockhaus"

-

- - -

Plusieurs rassemblements ont lieu aujourd'hui à Paris, en hommage aux attentats de janvier 2015. Trois ans après le drame, qu’en est-il du quotidien au sein de la rédaction de Charlie Hebdo?

Journée d’hommage ce dimanche, trois ans, jour pour jour, après l’attentat perpétué par les frères Kouachi. Il y a trois ans, la France se figeait, les yeux rivés sur le 11ème arrondissement de Paris et les locaux de Charlie Hebdo. L'attaque contre l'hebdomadaire avait fait douze morts au total et 11 blessés, le 7 janvier 2015.

Trois ans après l'irruption des frères Kouachi dans les locaux du journal, les survivants et ceux qui ont rejoint Charlie travaillent et vivent dans des conditions difficiles.

"Je suis avec des officiers de sécurité en permanence"

Marika Bret, la Directrice des Ressources Humaines de Charlie Hebdo était en rendez-vous à l'extérieur le jour de l'attentat. Quand on lui demande de raconter son quotidien, Marika Bret cherche ses mots puis elle finit par dire:

"On est ultra ultra sécurisés depuis trois ans. Nos locaux, c’est un blockhaus. Moi-même je suis avec des officiers de sécurité en permanence. Je vais quand même chercher mon pain avec eux à la boulangerie."

"Trois ans de vie dans une boîte de conserve", a écrit Riss, le directeur de la publication de Charlie Hebdo. A cela, s'ajoutent des considérations financières. L'équipe du journal est protégée en permanence par la police mais la sécurité des locaux, elle, est assurée par une société privée payée par Charlie. "Une situation intenable sur le long terme", explique Marika Bret.

"Ça coûte une fortune. Pour moi, ce n’est pas normal. J’ai entendu dire 'on ne peut pas faire d’exception'. Mais il y en a une. Par rapport à ce qu’il s’est passé le 16 janvier 2015 pour Charlie Hebdo oui, il y a une exception."

"Est-ce qu’il n’y aurait pas quelque chose de cassé dans la liberté de la presse?"

Emmanuel Macron en marge de ses vœux à la presse en début de semaine a déclaré qu'il allait se pencher sur cette question. Mais pour Gérard Briand, le rédacteur en chef de Charlie Hebdo, en vacances le jour du drame, le débat est plus profond.

"Est-ce qu’il est normal qu’un journal doive avoir une protection, qu’elle soit publique ou privée, pour pouvoir continuer à exister? Est-ce qu’il n’y aurait pas quelque chose de cassé dans la liberté de la presse? Je pense que c’est ça la question qu’il faut se poser aujourd'hui et que tous les journalistes devraient se poser."

Ce dimanche, Emmanuel Macron et la maire de Paris Anne Hidalgo rendent hommage aux 17 victimes des attentats de janvier 2015 survenus à Paris. D'abord à 11h devant le siège de Charlie, puis à 11h30 boulevard Richard Lenoir où le policier Ahmed Merabet a été assassiné, puis à midi devant l'Hyper Cacher. Sont prévus à chaque cérémonie une lecture de la plaque commémorative, un dépôt de gerbes, une minute de silence, la Marseillaise et les salutations aux familles.

Un hommage spécifique est prévu demain lundi à 14h30 à Montrouge, en présence de Gérard Collomb et d'Annick Girardin ministre des Outre-Mer, pour rendre hommage à Clarissa Jean-Philippe, la policière tuée par Amedy Coulibaly.

Un rassemblement place de la République

A côté de ces cérémonies officielles, un rassemblement est organisé aujourd'hui à 15h00 sur la place de la République à Paris. Les noms de chacune des victimes des attentats de Charlie Hebdo, Montrouge et l'Hyper cacher seront lus et des fleurs seront déposées sur la plaque dédiée aux victimes du terrorisme. Ce rassemblement est organisé à l'appel du "Mouvement pour la paix et contre le terrorisme".

Huguette Chomski-Magnis est l'une des représentantes de ce collectif, elle estime qu'il faut soutenir Charlie Hebdo, toujours menacé.

"C’est d’abord un hommage. Un modeste hommage à toutes les victimes des attentats de janvier 2015. C’est ensuite un message de solidarité avec Charlie Hebdo, qui fait toujours l’objet de menaces de mort. C’est pour dire, on n’oublie pas, la mémoire est là. La statue de la République c’est un lieu qui est resté symbolique et j’ai encore dans les oreilles cette clameur qui montait, 'Je suis Charlie'… Bien sûr ensemble on est plus forts."

Quatre jours après le drame, le 11 janvier, 4 millions de personnes étaient descendues dans la rue pour dire "Je suis Charlie". Selon un sondage Ifop pour "Toujours Charlie!" en partenariat avec Europe 1, 61% des Français se sentent encore "Charlie", trois ans après les attentats de janvier 2015. 

"Le fait de se sentir Charlie, clive le pays"

En janvier 2016, quand cette même question avait été posée par l'institut de sondage, 71% des Français s'étaient dits "Charlie", soit 10 points de plus qu'aujourd'hui. Pour Fréderic Dabi, le directeur général de l'Ifop, être ou pas Charlie, est une illustration du clivage de la France entre zone rurale et zone urbaine. Mais aussi entre jeunes et moins jeunes, zone favorisée ou pas...

"Ce qui me paraît le plus notable, c’est le fait que l’on a deux France qui se font face. Une France plutôt âgée, issue des catégories supérieures habitant dans les grandes villes, de gauche, et qui se dit plus Charlie que la moyenne. Et surtout, il y a une France qui se sent moins Charlie. Une France plus jeune, rurale. Un jeune sur deux ne se sent pas Charlie. C’est 15 points de moins par rapport à une enquête Ifop d’il y a deux ans. Ce sont ces deux France qui se font face et on voit très bien que le fait de se sentir Charlie, clive le pays. Même si une majorité très nette de Français se dit, Charlie."

Mais alors, comment rester Charlie ? Pour Amine El Khatmi, adjoint PS à la mairie d’Avignon et un des fondateurs du Printemps Républicain, organisateur du rassemblement hier, "Toujours Charlie", la réponse se trouve dans l’éducation.

"Je pense que l’émotion n’est plus la même. Quand vous faites un sondage, une semaine après un attentat qui a tué 17 personnes, le niveau d’émotion des gens, leur niveau d’implication n’est pas le même que 3 ans après. Le temps fait son affaire. Mais je pense oui, que l’Education Nationale devrait être beaucoup plus offensive sur ces questions et à faire la pédagogie de ce qu’est la satire, de ce qu’est la liberté d’expression, de l’irrévérence, etc. Ce sont des valeurs fondamentales."

Stéphanie Collié (avec C.P.)