Dernier 20h de Pujadas: "Ce qui est violent ce n'est pas la fin du JT, ce sont les motifs"

- - Lionel Bonaventure - AFP
Journaliste et animateur, Guillaume Durand a présenté le JT de 20h de La Cinq de 1987 à juin 1991. Il présente aujourd'hui la matinale de Radio Classique.
"A l'époque c'est Jean-Luc Lagardère qui dirigeait la Cinq, et il avait décidé de me remplacer par Béatrice Schönberg et Gilles Schneider. Ça m'a affecté, bien sûr, mais cela n'avait pas du tout l'apparence d'une sanction professionnelle puisque je restais dans la chaîne pour y réaliser des éditions. Au fond, c'était d'une certaine manière un soulagement après tout ce qu'il s'était passé à l'époque, la guerre du Golfe, la chute de Ceausescu en Roumanie…
C'est très difficile de piloter avec ses dirigeants une rédaction de plusieurs dizaines de personnes et c'est épuisant. J'ai été un peu troublé sur le plan narcissique au début, mais j'ai vécu comme une sorte de soulagement professionnel le fait de pouvoir faire autre chose.
"C'est épuisant"
Mais l'affaire de David Pujadas est de nature tout à fait différente, c'est la sanction de la réussite, ce qui est un paradoxe total. J'avais connu ça à Canal+, quand on m'a évincé de la présentation de Nulle Part Ailleurs (en juin 1999). J'avais appris dans les journaux que j'étais viré alors que l'émission avec Edouard Baer, Jamel Debbouze était un triomphe d'audience. C'était incompréhensible sur le plan professionnel et je l'avais vécu douloureusement. C'est pour ça que je me suis élevé contre cette décision envers David Pujadas. David n'est évidemment pas le propriétaire de son journal, mais les motifs évoqués sont délirants. Anne-Sophie Lapix a beaucoup de qualités, ce n'est pas ça le problème. Mais il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans le monde de la télé en France, qui repose sur le copinage, la tête du client etc. Ce n'est pas professionnel. Tout le monde le sait.
Construire une audience cela prend des années. David a mis des années pour remonter le handicap de France 2 face à TF1. Et là, il y a le risque que tout ce qui a été construit s'étiole au fil des mois. C'est ce qui s'est passé sur TF1 quand Patrick Poivre D'Arvor a été remplacé.
"On fait toujours semblant d'être gai"
Les jours qui précèdent ce dernier JT, on y pense forcément. On fait toujours semblant d'être gai, alors qu'on est triste. C'est pareil pour tous les projets qui touchent à leur fin. J'avais sûrement préparé une petite phrase pour la fin de mon dernier 20h, mais elle devait être suffisamment banale pour qu'elle disparaisse de ma mémoire. De toute façon on ne veut pas faire le malin dans ce moment-là. En tout cas, pour ma part je n'ai pas de nostalgie. Je suis content de l'avoir fait.
Après, il faut se reconstruire. Moi, j'ai présenté le 20h moins longtemps que David Pujadas ou PPDA et je n'avais pas l'intention de faire de ma vie professionnelle un énorme JT donc cela avait adouci ma douleur. Ça dépend de ce que David avait dans la tête pour les années qui viennent. Ce qui est violent ce n'est pas la fin du JT, ce sont les circonstances et les motifs. C'est une injustice violente et personne n'ose dire grand-chose parce que d'une part on vous considère comme un privilégié, et d'autre part personne n'a envie de s'attirer l'hostilité de la présidente de France Télévisions. Ce qui n'est pas normal."