Disparition de Maëlys: "Dans une enquête judiciaire on ne prend jamais les médiums au sérieux"

Des gendarmes sondent le lac d'Aiguebelette, le 11 septembre 2017. - AFP
Jean-Marc Bloch, ancien directeur de la police judiciaire de Versailles. Il a notamment travaillé sur la disparition d'Estelle Mouzin. Il raconte les interventions récurrentes des "voyants" dans ces affaires de disparition.
"Dans une enquête judiciaire, on ne prend jamais les médiums au sérieux. Seulement, on ne sait jamais si, derrière le témoignage d'un médium, pseudo-médium, ou cartomancien quelconque, il ne se cache pas une vraie information. Il arrive que, sous couvert du côté occulte, des personnes confient des choses.
"Il arrive qu'un médium raconte quelque chose de plausible"
Dans toutes les affaires de disparition, on reçoit énormément de sollicitations de ce genre. Il y a les médiums qui se manifestent auprès des services de police. Et ça prend du temps, on doit faire des vérifications… Ce qui ne veut pas dire qu'on les prend au sérieux. Mais dès l'instant où ce qui est raconté par quelqu'un, fut-il médium, paraît plausible et vérifiable, il est difficile de ne pas en tenir compte. Cela peut être purement fantaisiste, mais comment savoir si ce n'est pas un témoins qui se déguise?
Il y a aussi ceux qui se manifestent auprès des parents. Certains demandent de l'argent, d'autres non. Ils créent toujours une espèce d'espoir chez ceux qui ont perdu quelqu'un. C'est terrible. C'est même odieux de leur faire croire qu'ils vont trouver quelqu'un avec une carte ou une boule de cristal.
"Jamais la police n'a retrouvé quelqu'un grâce aux médiums"
Jamais la police n'a retrouvé une personne disparue sur la base "d'informations" de médiums. Il n'y a pas un seul exemple dans l'histoire de la police judiciaire ou de la gendarmerie. Ce sont tous des charlatans.
Et, sans aller jusqu'à dire qu'ils obstruent l'enquête, ils la surchargent parfois. Cela n'empêche pas les procédures de suivre un cours normal… Mais lorsque c'est un témoignage qui s'additionne à d'autres, de temps en temps on est obligés de les prendre en compte. Parfois, on se demande si c'est quelqu'un qui sait quelque chose, mais n'a pas envie de se dévoiler. Alors cette personne nous dit: "J'ai vu ça dans ma boule de cristal". C'est facile, et ça évite de révéler l'origine de l'information. Un peu comme pour un journaliste qui ne dévoile pas ses sources.
"Dès que c'est médiatisé, les médiums se manifestent"
Plein de fois, ils se sont mêlés aux enquêtes. Que ce soit l'affaire Estelle Mouzin, la fillette disparue en 2003 en Seine-et-Marne, et dans beaucoup d'autres. Dès qu'une affaire paraît dans la presse, les médiums se manifestent.
C'est la médiatisation de l'affaire qui explique leur méanifestation. Ils veulent être sous les projecteurs, ils ont besoin de reconnaissance. Parfois, ils envoient des notes de synthèse, des courriers, des tas de trucs. C'est extraordinaire.
Or, dans une enquête judiciaire, on ne jette rien. Dans toutes les affaires de disparition, on constitue toujours un sous-dossier avec les choses communiquées par les médiums ou les cartomanciens.
On ne le met pas dans le dossier officiel, celui de la procédure, qui est transmis aux magistrats du parquet. On les glisse dans un dossier fait de notes, d'impressions de tout ce qu'on reçoit, d'articles de journaux, de chemises, de papiers, de témoignages… Qui finit dans un gros carton qui est archivé. Il arrive qu'on le rouvre des années après quand l'enquête repart.
"En situation de désespoir, on se raccroche à tout"
Dans le cas des parents de Maëlys, c'est un voyant qui est venu les contacter. A mon sens, c'est comme lorsqu'une personne est atteinte d'une maladie grave. Elle espère qu'un guérisseur, qu'une médecine traditionnelle, ou qu'un charlatan quelconque les soigne. Quand on est dans une situation de désespoir, on se raccroche à tout ce qu'on peut.
Les enquêteurs en Isère ont à la fois trouvé et pas trouvé. Il y a bien une piste, et un suspect a été mis en examen et incarcéré. Mais le corps de l'enfant n'a pas été retrouvé. Ce flou ouvre la porte à toutes les croyances et tous les esprits malsains.
Contrairement aux Etats-Unis, les enquêteurs français n'ont jamais réclamé l'intervention de médiums pour résoudre une enquête. On travaille avec des analystes, des psychologues, des gens de science, mais pas avec tout ce qui est paranormal. On est dans le rationnel. Et ce même si la démarche de l'enlèvement peut être irrationnelle. Ce n'est pas avec un pendule et une carte qu'on va retrouver une petite fille disparue."