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"Elle a vécu l’enfer": les parents d'Evaëlle témoignent après le renvoi d’une professeure en correctionnelle

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EXCLU RMC. Evaëlle, âgée de 11 ans, s'est suicidée en 2019 dans le Val-d'Oise après avoir victime de harcèlement scolaire. Au lendemain du renvoi de sa professeure de français en correctionnelle, ses parents témoignent et demandent plus de moyens pour la lutte contre le harcèlement.

Une enseignante bientôt devant la justice dans une affaire de harcèlement scolaire. En 2019, dans le Val-d'Oise, Evaëlle (11 ans) se suicide par pendaison dans sa chambre. Elle avait subi du harcèlement dans son ancien collège. Accusée d'avoir "dégradé les conditions de vie" d'Evaëlle (le lien de causalité avec le suicide n'est pas retenu), sa professeure de français est renvoyée en correctionnelle. Un fait extrêmement rare pour une enseignante.

Il lui est reproché d'avoir "humilié régulièrement" Evaëlle devant sa classe, de l'avoir "isolée au fond" et d'avoir organisé "des heures de vie de classe portant sur le harcèlement scolaire au cours desquelles elle l'a stigmatisée comme étant victime de harcèlement par ses camarades et l'a contrainte à répondre aux questions de ceux-ci", écrit la juge dans son ordonnance. Quant aux trois adolescents initialement poursuivis pour avoir harcelé Evaëlle, l’un d’entre eux a bénéficié d'un non-lieu et deux ont été renvoyés devant le tribunal pour enfants pour harcèlement sur mineure.

"Deux fois, la police a refusé notre plainte"

"C’était l’objectif d’arriver au jugement, confie Sébastien, le père d’Evaëlle, dans Apolline Matin ce vendredi sur RMC et RMC Story. Elle a vécu l’enfer. Ça a commencé avec sa prof de français qui l’a très rapidement isolée et disputée systématiquement. Elle la mettait le plus loin possible, au fond de la classe. La prof a initié ce harcèlement que les élèves ont repris par la suite." Les parents de la jeune fille ont compris la situation quand la maman d’une autre élève a pris la parole.

"Ce n’est même pas Evaëlle qui nous en parle la première, explique Marie, sa mère. A la fin d’une réunion, un parent d’élève demande quand on va parler du harcèlement de professeur à élève. On savait qu’il y avait des petites tensions entre Evaëlle et sa professeure de français, mais c’est tout. Cette maman parle et avec mon mari, on lève la main et on dit ‘attendez, est-ce qu’on parle de telle professeure et de notre fille?’. Elle dit oui. Sa fille, témoin de ce que vivait Evaëlle en classe, a alerté ses parents. Sa mère nous en a parlé devant tout le monde."

Les parents d’Evaëlle ont alors voulu porter plainte à la fois contre certains élèves et cette enseignante. "On a essayé deux fois de porter plainte contre cette professeure. Et deux fois, la police a refusé notre plainte, indique Marie. On arrive, on dit qu’on veut porter plainte contre une professeure, des élèves, pour harcèlement. Ils nous disent qu’ils prennent la plainte contre les élèves, pas de souci. Pour la professeure, ils disent ‘vous savez, c’est compliqué, c’est long, c’est l’Education nationale’. En fait, ils nous dissuadent, une première fois. Puis notre fille est entendue dans le cadre de la plainte contre les élèves. On redemande à porter plainte contre la professeure. Et une deuxième fois, on nous explique c’est compliqué contre un professeur. Du coup, on ne prend pas notre plainte."

"Ils nous ont dit qu’on pouvait écrire à l’inspection académique pour dénoncer le comportement de cette professeure, ajoute Sébastien. On l’a fait, bien sûr. La réponse, c’était trois lignes, ‘on a pris en compte votre demande, on va attention à l’avenir’.

"Il faudrait passer à l’action et donner des moyens"

En attendant le procès, les parents d’Evaëlle souhaitent que plus de moyens soient accordés à la lutte contre le harcèlement scolaire. "Il y a eu une prise de conscience, c’est indéniable, souligne Marie. Maintenant, tout le monde est au courant de ce qu’est le harcèlement. Il faudrait passer à l’action et donner des moyens, pas seulement à l’Education nationale mais aussi à la police pour pouvoir enquêter, à la justice pour pouvoir traiter ces affaires. Notre plainte, du vivant d’Evaëlle, elle allait vers un non-lieu. Il faut encore une fois un suicide, la perte d’un enfant, pour que l’enquête se fasse sérieusement. C’est ce qui est dommage."

"Notre fille est reconnue victime, mais ce n’est pas que pour Evaëlle, c’est pour tous les élèves victimes de harcèlement et il y en a beaucoup, complète Sébastien. C’est intéressant que ça aille dans ce sens, que ça fasse bouger les lignes. Il y a certainement des professeurs qui ont des comportements inappropriés, peut-être déviants envers certains élèves. Il y aura peut-être une prise de conscience générale du corps enseignant. Quand Gabriel Attal est arrivé au ministère, on s’est dit qu’il y avait quelqu’un de vraiment impliqué, que ça allait bouger. Il n’est pas resté longtemps mais maintenant, il est Premier ministre donc on espère que ça va continuer d’avancer."

"Un professeur n’est pas totalement libre de mener sa classe comme il l’entend"

Dans cette même affaire, deux autres enfants ont été victimes de cette enseignante, qui devra aussi répondre de son comportement les concernant. Presque cinq ans après, son fils va mieux mais cette maman n'oublie pas les récits difficiles de son enfant alors âgé de 11 ans. "Il me faisait part des remarques de la professeure: ‘tu es bête’, ‘je ne peux plus rien faire pour toi’, ‘tu es lent’", raconte-t-elle au micro de RMC. Des humiliations quotidiennes et pas réservées uniquement à son fils. Selon cette maman, un climat propice au harcèlement régnait dans les classes de cette enseignante. "Il y avait trois groupes dans la classe: les chouchous, les fantômes et les têtes de Turc. Des enfants qui en prenaient plein la figure. Ce sont plusieurs enfants, dans plusieurs classes, et allez savoir depuis quand", s’interroge-t-elle. Son enfant se reconstruit, mais Evaëlle a mis fin à ses jours quelques mois après le harcèlement subi en classe. Delphine Meillet, l'avocate de ces deux familles, est soulagée que ce procès ait lieu. "C’est une satisfaction parce qu’il est rarissime de voir un professeur renvoyé pour harcèlement scolaire d’une élève, explique-t-elle. Un professeur n’est pas totalement libre de mener sa classe comme il l’entend. Il doit être sensible aux sensibilités des élèves." De son côté, la professeure de français, qui n'a plus le droit d'enseigner depuis 2020, réfute le harcèlement moral et promet de s'en expliquer devant les juges.
(Mahauld Becker-Granier)

Laurent Picat Journaliste RMC