"Les gens trouvent ça naturel": les Français de plus en plus nombreux à se faire justice eux-mêmes?

Face à une police et une justice débordées, les Français choisissent de se faire justice eux-mêmes. C'est ce qu'assure le journaliste Pierre Rancé, auteur d'Autojustice, enquête sur un phénomène qui gagne la France et ancien porte-parole du ministère de la Justice auprès de Christiane Taubira, qui a rencontré de nombreuses personnes confrontées aux à des vols et à l'inaction des forces de l'ordre.
Les profils sont nombreux et variés. Certains sont des commerçants victimes de vols à répétition, d'autres sont des propriétaires confrontés à des squatteurs indélogeables et d'autres encore sont seulement des citoyens exaspérés.
"Cela peut aller jusqu'à des lynchages physiques avec des morts", explique aux Grandes Gueules Pierre Rancé. Il en veut pour exemple deux affaires survenues en 2022: le lynchage mort d'un homme de 39 ans à L'Escarène dans les Alpes-Maritimes, soupçonné d'un cambriolage et celui d'un mineur isolé accusé d'avoir agressé sexuellement une fillette lors d'un cambriolage à Roanne.
Cette dernière affaire "est emblématique puisque l'opinion publique a pris faits et causes pour la famille, au risque de mettre en défaut le procureur de la République, harcelé sur les réseaux sociaux", déplore Pierre Rancé.
3,5 millions de plaintes par an
Ce phénomène serait alimenté par les difficultés de la justice à agir rapidement: "Pour des cambriolages, des viols même, il n'y a plus d'enquêtes. Il y a aujourd'hui 3,5 millions de plaintes qui arrivent tous les ans et s'ajoutent aux 2,7 millions de plaintes en stock avant d'être classées sans suite". Et la France consacre deux fois moins d'argent que ses voisins à la justice.
L'autojustice, de nombreux commerçants l'ont adopté sans pour autant sombrer dans la violence. C'est le cas de Christophe, commerçant à Nice: "Tous les jours il y a des agressions dans les commerces. Alors on est une trentaine de commerçants à se prévenir. On se donne les photos des voleurs qu’on connaît parce que la police ne va rien faire", se désole-t-il sur RMC et RMC Story.
Opticien, Grégory a été confronté à l'inaction de la police après un vol dans sa boutique de Montreuil: "Un jeune a pris une monture et est parti avec. On a appelé la police qui a refusé de se déplacer nous demandant de venir porter plainte. On a laissé tomber, on a contacté des clients qui sont des grands frères du quartier avec des photos du voleur grâce aux caméras. Le lendemain le voleur est venu rendre la monture et s’excuser", raconte-t-il.
"L'ambiance sociétale est à la haine"
Sur les réseaux sociaux, certains influenceurs poussent eux-aussi à se faire justice soi-même et à passer à l'acte.
"C'est préoccupant, les gens trouvent ça naturel. L’ambiance sociétale est à la haine", déplore Pierre Rancé.
A Roanne, le père vengeur avait été condamné à 6 mois de prison avec sursis. Les commerçants qui affichent les voleurs sur leur vitrine, risquent eux un an d'emprisonnement et 45.000 euros d'amende selon l'article 226-1 du Code pénal relatif à la protection de la vie privée.