Marseille: comment la "DZ Mafia" s'étend dans le sud de la France et diversifie ses activités

Trafic de drogue, racket, assassinat: la DZ Mafia marseillaise diversifie et étend désormais ses activités sur une large partie sud de la France, comme l'a révélé samedi la police et le parquet marseillais, après de récentes enquêtes qui ont permis d'incarcérer des dizaines de membres de l'organisation.
Depuis le 1er octobre, 119 personnes, en lien avec le gang marseillais de narcotrafiquants, ont été interpellées, dont plus de 100 mises en examen et 73 placées en détention provisoire, a précisé le patron du Service interdépartemental de la police judiciaire (SIPJ13) Philippe Frizon, lors d'une conférence de presse.
"Les problèmes ne seront pas réglés demain matin mais nous avons des résultats", s'est de son côté félicité dans une conférence de presse le procureur de la République de Marseille Nicolas Bessone, qui estime que les dernières interpellations "affaiblissent évidemment l'organisation"
Longtemps cantonnée au narcotrafic et dont le conflit sanglant avec un autre gang serait derrière la plupart des 72 narchomicides enregistrés à Marseille depuis presque deux ans, la DZ Mafia a effet multiplié les méfaits.
Nouveaux territoires, nouvelles méthodes
Autre nouveauté, la DZ Mafia s'étend depuis deux ans géographiquement. "Ils vont dans d'autres villes, soit essayer de prendre des ponts de deal comme à Nîmes ou Montpellier, soit ils se font appeler par d'autres en renfort pour lutter contre des concurrents", décrypte sur RMC ce lundi 9 décembre Fabrice Rizzoli, spécialiste de la grande criminalité, fondateur de l'association Crim'Halt.
Les enquêteurs ont en effet relevé ces derniers mois "la capacité de projection" de l'organisation marseillaise dans la région de Montpellier, de Lyon mais aussi "jusque dans des pays étrangers, comme l'Espagne pour commettre un certain nombre d'homicides".
La DZ Mafia se diversifie aussi par ses techniques. Tentative d'extorsion de fonds contre le rappeur SCH, dont l'un des proches a été assassiné fin août près de Montpellier, racket de commerces, restaurants ou boîtes de nuit: pour le procureur, deux affaires marquent "l'extension du domaine d'activité" de la DZ Mafia au-delà du trafic de drogues et de sa région d'origine, permettant de démontrer ses liens avec le "banditisme traditionnel".
"Ces organisations criminelles (...) étendent leur activité à des activités habituellement dévolues au milieu traditionnel, c'est-à-dire le racket d'établissements de nuit ou de personnalités qui disposent d'une importante surface financière", a déclaré le procureur, relevant le recours au "méthodes de la criminalité organisée".
Fabrice Rizzoli assure que le racket "existait déjà" mais que cette fois, les faits sont appuyés par des preuves. "On avait peu de sources. Là, c'est des affaires très imporantes, du racket sur des personnes avec beaucoup d'argent comme des rappeurs ou les débits de boissons, ou encore du marché de la sécurité des boîtes de nuit".
L'affaire SCH, comme un symbole
Le procureur de Marseille a précisé que pour l'affaire SCH, de son vrai nom Julien Schwarzer, le rappeur avait "fait l'objet de tentatives d'extorsion de clans criminels marseillais depuis environ un an et avoir toujours refusé de s'acquitter d'un quelconque paiement". SCH a également fait état de "menaces de mort qui l'avaient contraint à changer ses habitudes de vie".
Dans l'affaire de racket visant le propriétaire de commerces, d'un restaurant et d'une discothèque, cibles tour à tour d'incendie ou de tirs à l'arme de guerre, les malfaiteurs exigeaient qu'il leur cède son contrat de location, leur verse une "compensation" de 300.000 euros et passe par leur "booker, membre éminent de la criminalité organisée corse" pour faire venir des artistes dans sa discothèque.
Selon le procureur, les récentes vagues d'interpellations sont le fruit d'"un travail de longue haleine pour (...) ne pas se contenter d'avoir que les exécutants mais essayer de remonter au sommet de l'organisation". Il a par ailleurs confirmé qu'une des figures présumées de la DZ Mafia déjà en détention était apparemment impliquée dans les récentes menaces de mort contre la directrice de la prison marseillaise des Baumettes et un de ses adjoints.
Objets d'un "contrat", ces deux responsables pénitentiaires ont été temporairement éloignés de leurs fonctions et placés sous protection, une situation qualifiée vendredi d'"exceptionnellement grave" par le ministère de la Justice.
"Partout, la DZ mafia et autres organisations criminelles essaient d'approcher des policiers pour faire passer de la drogue dans les aéroports, pour savoir ce qui se cache derrière une plaque d'immatriculation, des gardiens de prison mais aussi des greffiers au tribunal...", rajoute Fabrice Rizzoli.
Quelles solutions?
Fabrice Rizzoli assure sur RMC ce lundi qu'il y a deux axes sur lesquels on peut progresser en France pour tenter d'enrayer les groupes de narcotrafic comme la DZ Mafia. Concernant le business légal et le blanchiment, il estime dans un premier temps qu'on ne "confisque pas assez les biens" des trafiquants de drogue. Et dans un deuxième temps, il faudrait selon lui que la France protège mieux les "repentis", alors qu'un texte de loi en cours d'étude a été bloqué par la situation politique actuelle de l'Assemblée nationale.
"Il faut absolument qu'en France, quand un gangster veut coopérer avec les magistrats, il puisse être protégé", plaide Fabrice Rizzoli.
"Pas d'impunité, il faut de la prison, mais il doit être protégé. Aujourd'hui, une personne qui a commis un crime de sang, c'est ridicule. Partout dans les autres pays, on protège et on permet de réduire la violence, y compris contre des victimes innocentes. Car on le rappelle, il n'y a pas que les gangsters qui s'entretuent mais des gamins de 10 ans ou des jeunes enfants qui n'ont rien à voir avec le trafic qui se font régulièrement assassiner", conclut-il.
Les violences liées aux trafics de drogue dans la région marseillaise ont fait 23 morts depuis janvier, selon un bilan de l'AFP. En 2023, le narcobanditisme avait coûté la vie à 49 personnes à Marseille, un sanglant record sur fond de bataille de territoires entre la DZ Mafia et un autre gang de narcotrafic, baptisé Yoda, le premier ayant finalement pris le dessus.
