MeToo Armée: "On a voulu étouffer l’affaire" dénonce une victime de harcèlement sexuel au sein du ministère

“Je suis fille de militaire, dès que j’ai eu 18 ans, je me suis engagée dans la marine, c'était ma vocation”, confie Léa (dont le prénom a été modifié) à RMC. Elle a fait ses armes à l’état-major, “le monde des étoiles”, nous précise-t-elle, les yeux brillants.
Léa a été recrutée en septembre 2021 au secrétariat général du cabinet de Florence Parly. “Un monde auquel je ne pensais jamais avoir accès. Ce cabinet du ministre pour moi, c'était un peu intouchable, c'était assez magique, la plus grande fierté de ma vie. Jusqu’à présent, j’ai vraiment travaillé pour y arriver”.
C’est un poste prestigieux, un tremplin pour Léa qui veut faire une carrière militaire. Mais c’est justement sous les dorures de l’hôtel de Brienne, dans le 15ᵉ arrondissement de Paris, qu’elle va subir le harcèlement sexuel de son supérieur direct et binôme, qui a le double de son âge dès sa prise de poste.
“Mon responsable m’a accueillie. C’était quelqu’un qui ne manquait pas de dire haut et fort qu'il n'était pas satisfait sexuellement, se rappelle Léa. Ça commençait vraiment sur des propos à caractère sexuel, tout le personnel féminin en prenait pour son grade, ça s’est vite rapporté à moi. C'était plus ‘j’ai envie de baiser’, mais ‘j’ai envie de te baiser’”, raconte la jeune femme.
Elle poursuit: “Il y avait un homme et une femme beaucoup plus âgés, plus gradés qui étaient témoins de ces propos-là. Mais c’est vrai qu’à ce moment-là, j'étais toute seule parce que ces personnes rigolaient et alimentaient ces propos. Ils faisaient passer ça sur le ton de l’humour”.
"Je quittais le travail en pleurs"
Ce n’est pas la première fois que Léa subit des remarques sexistes à l'armée: elle a déjà eu le sentiment d’être un bout de viande aux yeux d’hommes plus gradés. Mais ce qui est nouveau pour elle, c’est d’être la cible d’un seul homme, sans arrêt.
“J’ai très longtemps culpabilisé, en me demandant ce que j’avais fait pour entendre ces propos-là. J’ai tenté de répondre par la blague, or c’était pire. Du coup, après, j’ai décidé de ne plus répondre, de rester muette, mais ça n’a pas fonctionné, donc j’ai essayé de dire stop. Le militaire s’est absenté pendant un mois, à ce moment, je me suis sentie très bien dans mes baskets, très à l’aise au travail”.
“À son retour, j'ai pris l’initiative de discuter avec lui. De mettre à plat ce qu’il se passait, de lui dire que j’avais déjà fait les frais de propos sexistes et que cela me dérangeait énormément. Pendant trois heures, cette personne-là m’a écoutée, m’a énormément rassurée, m’a dit que de toute façon, avec lui, c’était tolérance zéro. Mais en fait, c'était un leurre. Le lendemain, c'était encore pire, encore plus salace. Il a utilisé ma faiblesse pour rétorquer x10”.
Cet homme n’a alors plus aucune limite: il aurait dit à Léa qu’il aimerait bien la “sodomiser”, qu’il avait hâte qu’elle soit en état d’ébriété pour “profiter” d’elle.
"Lorsque je me lavais les mains, il prétendait que je mouillais. Il mimait des fellations. Parfois, il tenait ses parties intimes en disant qu’il avait joui”, précise-t-elle. Toujours selon elle, son bourreau lui faisait également des remarques sur sa tenue, sur son physique, il la suivait…
“J’avais une boule au ventre avant d’aller travailler, je quittais le travail en pleurs, je me disais que le lendemain serait pareil”.
Une descente aux enfers
Finalement, Léa est arrêtée. Elle contacte Écoute Défense un numéro vert dédié aux militaires en difficultés psychologiques qui lui fait prendre conscience qu’elle subit du harcèlement. À son retour, elle prévient son commandant qui, au départ, prend les choses au sérieux.
Le mis en cause reconnaît les faits même s’il minimise. Il est placé d’office en télétravail puis sanctionné de 15 jours d’arrêt. Mais rapidement, son absence interroge le reste du cabinet et Léa se sent mise à l’index, d’autant plus quand elle évoque la possibilité de déposer plainte:
“On m’a dissuadé de contacter la cellule Thémis, de surtout pas déposer plainte parce que c’était une procédure très lourde, de signer un papier pour dire que j’arrêtais les démarches. Et on m’a bien fait comprendre que c’était moi la personne problématique puisque ça fait du remue-ménage, on n’aime pas que ça fasse de vague… Il fallait étouffer le dossier et à côté de ça on me fait comprendre que c’est à moi de m’endurcir”.
“Les personnes qui ont témoigné en ma faveur se sont retournés contre moi, elles m’ont bien fait comprendre qu’il y avait une charge de travail monstre et que je ne les aidais pas en faisant ça. On ne m’adressait plus la parole, j’ai simplement rassemblé mes affaires sans faire un bruit”.
"Son chef de bureau l’a, au contraire, incitée à contacter la cellule Thémis ainsi qu’à porter plainte, dément de son côté le ministère des armées auprès de RMC. C’est le rôle de la hiérarchie de s’assurer que la victime a bien connaissance de toutes les mesures d’accompagnement administratif, médical et social dont elle peut bénéficier", précise le cabinet du ministre qui ajoute: "le ministre des Armées l’a rappelé dans une instruction datée du 26 mars 2024. Depuis la création de la cellule Themis mise en place en 2014, la doctrine aux armées n’a pas varié".
Léa est de nouveau en arrêt maladie jusqu’à sa mutation début février 2022, à Brest, à sa demande. Elle ne tient pas un mois: “c’est la descente aux enfers. Je ne pouvais plus être sur une base militaire entourée de militaire. J’avais une boule d’angoisse en permanence, le monde militaire m’avait dégouté. Je n'avais plus ma place, là, c'était trop pour moi. J’avais le sentiment d’avoir une étiquette”.
Elle finit par contacter la cellule Thémis. Elle a déposé plainte en juin 2022 et le mis en cause a été placé en garde à vue en février 2023. Il a encore reconnu les faits tout en minimisant leur implication. Prétextant “l’humour pour faire descendre la pression, pour ne pas péter un plomb” ou bien encore de la “flatterie ou de compliments qui participaient à une bonne ambiance”. Il prétend ne jamais avoir été sérieux dans ses paroles.
Un système "qui ne protège pas les victimes"
Comble de l'absurde, sur les affaires pénales qui touchent des militaires, le parquet est obligé de demander "un avis" au ministère des Armées sur l'opportunité des poursuites (article 698-1 du Code de procédure pénale), autrement, la procédure est nulle.
Le parquet de Paris a donc dû demander son avis à ceux à qui Léa reproche d’avoir voulu étouffer l'affaire. Dans un avis que RMC a pu consulter, le bureau des affaires pénales militaires estime qu’une réponse pénale s’impose à l’encontre de ce militaire, mais il demande également la prise en compte de “son excellente manière de servir et de la sanction disciplinaire déjà infligée”.
C’est ce mélange des genres qui dérange Elodie Maumont, l’avocate de Léa: “si cet avis se contenait de dire qu’au cabinet du ministre, on est soumis au stress et à la pression, je peux entendre cet avis-là et même le comprendre. Qu’on explique au parquet et à la juridiction de jugement ce que recouvre les foncions militaires et leur spécificité, le stress, la gestion du conflit, etc. Mais en revanche quand l’avis vient sur le terrain de la personnalité et qu’on vient soutenir qu’il est si bien qu’on a pu le muter dans un autre service où il répond plus qu’aux attentes de sa hiérarchie et qu’on vient sur un autre registre… Là ça interroge sur le sens même de l’avis et sur ces conséquences sur l’opportunité des poursuites et ensuite devant la juridiction de jugement”.
Après deux ans en arrêt maladie, Léa va être réformée dans les prochains jours. Quant à son harceleur présumé, il a été muté au Centre des Hautes Études militaires à École militaire. Une affectation qui sonne pour elle comme une promotion.
“Ma carrière à moi est en croix à cause de cette personne-là. Moi la première, j’aurais adoré être affectée là où il est actuellement. Moi, j’étais un excellent élément, passionnée par ce que je faisais et aujourd’hui, je suis dans l’incapacité de continuer au sein des armées. C’est révoltant, ça montre bien le système en lui-même, on ne protège pas les victimes, on couvre les coupables et c’est désolant”.
Le militaire de 42 ans mis en cause risque trois ans de prison et sa radiation de l’armée.