"Je suis obligé, c'est un travail": comment Karim, dealer marseillais repenti, est retombé dans le trafic
Quatre mois après la visite en grande pompe du président de la République à Marseille, presque rien n’a changé. A cette époque, RMC avait rencontré Karim, dealer repenti qui expliquait avoir stoppé le trafic de drogue à sa sortie de prison: "J’ai vu qu’il y avait vraiment trop de danger, j’ai préféré stopper net. C’est une guerre de territoire pas possible. Il va y avoir beaucoup de morts, ils veulent prendre le peu de territoires qui font de l’argent", assurait-il en septembre.
"Les petits n’ont pas de conscience, ils ont envie d’aider leur famille. S’ils veulent faire de l’argent, il y a plein d’autres manières mais il faut éviter le trafic de stups", ajoutait à l’époque Karim.
En ce mois de décembre, dans le quartier de Karim, les points de deal sont pourtant les mêmes et les guetteurs sont toujours assis sur leur chaise en bas des bâtiments: "Rien n’a changé. Emmanuel Macron allait débloquer 150 millions pour les quartiers nord, mais il n’y a rien du tout".
Karim, le repenti, a lui bien changé. Il tend discrètement une dose de cocaïne pure à une mère de famille, lui qui paraissait pourtant avoir abandonné le deal en septembre dernier. A sa sortie de prison, il avait tiré un trait sur le trafic de stupéfiants. En liberté conditionnelle et au RSA, il cherchait activement un emploi :
"On vous appelle, et il n’y a rien. Il n’y a pas de travail et on finit par baisser les bras. Eux, les dealers, ils appellent direct sans qu’on pose notre CV et ils donnent de l’argent directement. Le trafic de stups, c’est le seul endroit où j’ai trouvé du travail, j’ai été obligé de retomber dedans. Je n’ai pas d’argent, je suis obligé, c’est un travail".
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"Je vais retourner en prison donc autant prendre des sous"
Et puis, il y a ce couperet. Si à la fin de sa liberté conditionnelle dans six mois, il n’a ni formation ni emploi, il retournera en prison. "Je ferai la fin de ma peine, soit 8 ou 9 mois. J’ai aussi d’autres affaires qui doivent être jugées. Dans tous les cas, je vais retourner en prison donc autant prendre des sous et rentrer en prison avec des sous", assure-t-il.
Karim est aujourd’hui en colère contre l’Etat, qui l’a abandonné selon lui alors qu’il avait la volonté de s’en sortir: "Je veux qu’ils m’aident à trouver un boulot, une formation, quitter Marseille. Je voudrais voir des personnes et discuter mais on ne peut même pas voir quelqu’un pour parler et trouver un terrain d’entente. Il n’y a personne".
En septembre, Emmanuel Macron annonçait pourtant un plan d'urgence de plusieurs milliards d'euros pour aider à réduire la criminalité, le trafic de drogue et la pauvreté qui rongent la deuxième ville de France. 1,5 milliard d'euros dédiés à la sécurité, aux transports, au logement et à la culture, et environ 1,2 milliard d'euros pour la seule rénovation des écoles. Le président avait même déclaré que 150 millions d'euros seraient alloués rien qu'au renforcement de la sécurité, notamment dans la lutte contre le trafic de drogue.
"J’ai peur de la police, de me faire tuer, de tout"
Mais quatre mois plus tard, seul le ton de Karim a bien changé. Il y a de la colère, mais aussi de la tristesse. Ses yeux se remplissent de larmes sous la visière de sa casquette, honteux de ne pas avoir tenu sa promesse de rester loin du trafic de drogue: "Ce n’est plus la même vie maintenant. J’ai peur de la police, de me faire tuer, de tout. C’est toujours dangereux. Quand tu t'endors, tu te demandes si tu vas un jour te réveiller et que ce sera le dernier. C’est le bon dieu qui a les cartes".
Aujourd’hui, Karim reste secret sur son rôle : "On ne me voit pas trop, je suis dans l’ombre, mais je suis dans la société". Il répète qu’il fait partie de la famille du trafic et que tout retour dans l’ombre, serait impossible: "On n’a plus le droit d’arrêter après. T’es dans la famille, tu restes dans la famille. On est obligé de faire et si tu ne veux pas, tu te fais taper dessus. C’est la pression des gros poissons. Eux, ils ne sont pas là, ils sont en prison ou à l’étranger, et ils ne rigolent pas. C’est un monde de merde".
Dans ce fatalisme qui l’a envahi, Karim tient tout de même à passer un ultime message: "J’aimerais trouver du boulot. S’il y a des personnes en manque d’employés et qui voudrait aider un jeune à sortir de tout ça, je suis ambitieux et déterminé". Un travail, la première étape d’un parcours de réinsertion semé d’embûches.
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