Un ancien haut gradé de la police jugé en appel pour agressions sexuelles: "Je me suis réveillé avec sa main dans mon caleçon"

"On a le sentiment d'être victimes deux fois, victimes de notre agresseur et victimes de cette procédure, qui dure depuis tant de temps", soupire Julien. Cela fait 14 ans que les trois parties civiles accusent leur ancien chef scout devenu ami d’agressions sexuelles alors qu’ils étaient jeunes adultes. Ce mercredi après-midi, ils témoigneront devant la cour d’appel de Poitiers. Pour la dernière fois, espèrent-ils tous les trois.
Il les a encadrés toute leur adolescence, lors de camps scouts. Pour certains, il était un mentor, devenu avec les années un ami, malgré leur différence d’âge. Le mis en cause aurait profité de cette proximité avec ces anciens scouts pour les agresser sexuellement pendant leur sommeil, au terme de soirées alcoolisées où il aurait insisté pour dormir avec eux. Par facilité, en fin de soirée, pour éviter de déplier un canapé-lit, en partageant une tente "à la manière scout", ou encore pour des raisons économiques... Pour Julien, c’était en vacances, en Crète, en 2008.
"C'était un ami, un ami en qui j'avais une grande confiance. Quelqu'un que j'admirais, dont je respectais les valeurs. Il était fonctionnaire de police, donc quelqu'un qui avait eu par le passé un rôle d'encadrant vis à vis de moi, qui en plus avait une profession qui incarne le droit, la justice", explique aujourd’hui Julien, l’une des parties civiles, au micro de RMC. "Je me suis réveillé avec sa main dans mon caleçon".
Demander aux victimes de manifester leur refus
Entre 2009 et 2016, ils sont quatre jeunes hommes d’une vingtaine d’années à porter plainte pour des faits très similaires. Parmi eux, Julien et son frère. Deux d’entre eux ont des soupçons de soumission chimique, qui seront très vite écartés lors de l’enquête. "Aucune investigation n’a été menée dans l’entourage du mis en cause. Il nous a été répondu qu'étant donné son poste, de toute façon, il avait accès à des drogues, et donc qu’aucune conclusion n'aurait pu être tirée", affirme Julien.
A ce moment-là, l’homme qu’ils accusent est un haut gradé de la police, chef d’état-major dans la Vienne. Il ne sera mis en examen et écarté de son poste qu’après plus de dix ans de procédure. Il y a deux ans, après 12 ans de combat judiciaire, ils ne sont plus que trois parties civiles et un procès a finalement lieu. Procès au terme duquel le tribunal a relaxé l’ancien policier, au motif que "l’auteur n’avait pas 'conscience' de l’absence de consentement des victimes, qui se devaient notamment de manifester [leur] refus, ce qui n’a pas été le cas". Une première décision qui révolte les parties civiles.
"Il n’est pas possible de demander aux victimes de manifester leur refus, qu’est-ce que c'est que la manifestation du refus? s’interroge Julien. Je pense que dans notre affaire, aucune victime n'a manifesté son consentement. Ce qu'on comprend aujourd’hui de la justice, c'est que, surtout peut-être en étant des hommes, il aurait fallu réagir, le violenter, lui taper dessus."
"On ne touche pas des personnes dans leur sommeil"
Les plaignants évoquent une sidération. "Quand on est réveillé dans notre sommeil, dans cette situation, on ne comprend pas ce qu'il se passe, et on est tétanisé, explique Julien. On a été entendu par la justice, on a pu s'exprimer, mais ce qu'on déplore, c'est qu'elle ne soit jusqu'ici pas en mesure de condamner, ce qui me pose question. Si la justice n'est pas capable de condamner des agressions faites dans le sommeil, dénoncées par quatre personnes, comment une victime seule pourrait être entendue et gagner un procès?"
Tous ont subi des conséquences physiques et psychologiques, et ont été accompagnés pour "avancer, dépasser ce qu’il s’est passé", explique Julien. Lui a quitté la région poitevine après les faits. Depuis le début de la procédure, il appréhende de croiser celui qu’il accuse d’agression sexuelle.
Le parquet a finalement fait appel de cette décision. Ce mercredi, leur ancien chef scout fera face à la cour d’appel de Poitiers. Quatorze ans après la première plainte, les trois parties civiles n’ont pas perdu espoir dans la justice et espèrent qu’il soit reconnu coupable. "Ce qu'on attend tous, c'est qu'il soit condamné pour que la justice affirme que les gestes qui ont été faits sont bien inacceptables et que c'est bien un délit, pour passer le message qu'on ne touche pas des personnes dans leur sommeil".
S’il a nié se rappeler avoir dormi avec aucune des parties civiles, le mis en cause avait évoqué une "relation ambiguë" avec Julien, dont il était amoureux. Contacté, son avocat, Me Lionel Bethune de Moro a souligné que son client "a toujours contesté la matérialité voire l’intentionnalité des faits énoncés". Il a indiqué réserver ses observations à la cour, mais s’étonner de l’appel du parquet de La Rochelle, la relaxe étant conforme à ses réquisitions. L’ancien chef scout encourt jusqu’à 7 ans de prison.