"Décivilisation": d’où vient le terme fort et connoté prononcé par Emmanuel Macron?

Emmanuel Macron s’est alarmé ce mercredi du climat de violence qui règne en France. Il a dénoncé ce qu’il appelle un mouvement de “décivilisation”, un terme fort et connoté. C’est le terme choisi par le président de la République pour évoquer, en conseil des ministres, les violences de ces derniers jours. C’est-à-dire les menaces contre les élus, l’incendie de la maison du maire de Saint-Brevin, mais aussi l’accident qui a coûté la vie à trois policiers de Roubaix et bien sûr l’assassinant d’une infirmière à Reims…
Ces drames ne sont pas de même nature mais le président a demandé à ses ministres d'être intraitables sur le fond, parce qu'aucune violence n’est légitime. Et il a ajouté ce mot qui fait débat: "Il faut travailler contre ce processus de décivilisation". Dans l’esprit d’Emmanuel Macron, c’est sans doute une référence philosophique. Le philosophe allemand Norbert Elias a développé le concept d’un processus de civilisation. C’est-à-dire des sociétés qui évoluent vers plus de raffinements, plus d’autocontrôle des pulsions et moins de violences.
La décivilisation, c’est donc le processus inverse. Une société qui ne se développe plus mais qui régresse, qui retourne vers la barbarie et la sauvagerie. Mais le terme de “décivilisation” a aussi une connotation politique, puisque c’était le titre d’un livre de Renaud Camus en 2011. Renaud Camus, l’inventeur du “grand remplacement”. “Décivilisation”, comme “grand remplacement” sont désormais des notions qui font partie du registre de l'extrême droite.
De Chevènement à Darmanin
Ce n’est pas la première fois que l’on débat des mots pour parler de la violence. Ce débat nous renvoie 20 ans en arrière lorsque Jean-Pierre Chevènement, ministre de gauche, avait parlé des “sauvageons”, pour qualifier les jeunes délinquants récidivistes. Le terme avait fait scandale.
Même polémique il y a trois ans lorsque le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin avait parlé de “l’ensauvagement de la société”. Le sauvage, cela vient du latin “Silva” qui veut dire forêt. C’est celui qui vit dans les bois, c’est l’étranger qui se cache et qui nous menace… Mais c’est encore une fois un mot à connotation politique. Marine le Pen a régulièrement dénoncé "l'ensauvagement de la société" et même organisé un colloque à l'Assemblée sur ce terme. L’ensauvagement est donc aussi un terme désormais connoté que Gérald Darmanin n’avait pas choisi par hasard…
Du mal à chiffrer précisément l’augmentation des violences
Au-delà des mots, est-ce que la société française est de plus en plus violente et donc de moins en moins “civilisée”? La réponse est oui. Statistiquement, il y a une augmentation des faits de violences en France depuis 20 ou 30 ans. Il faut prendre les chiffres avec précaution, parce que souvent on a changé la façon de compter. Lorsqu’on a une augmentation des plaintes, cela ne signifie pas forcément qu’il y a une augmentation équivalente des faits. Les violences à l’intérieur des familles, par exemple, ont toujours existé mais sont aujourd’hui mieux comptabilisées.
Bref, on a du mal à chiffrer précisément l’augmentation des violences, mais on peut citer cette statistique: en 15 ans, les plaintes pour coups et blessures volontaires ont augmenté de près de 50%. En revanche, le nombre de meurtres est resté parfaitement stable sur la même période. Est-ce que cela dresse le tableau d’un processus de décivilisation? Chacun choisit ses mots…