"La France n'a plus de Premier ministre... depuis quatre ans": l’avis tranché d’Arthur Chevallier

La France attend toujours son Premier ministre. Mais ça ne change pas grand-chose puisqu’en réalité, ça fait déjà quatre ans qu’elle n’en a plus… La gauche s’indigne, la droite ronronne, et le président, lui, comme à son habitude, prend son temps. Et pourtant, pourtant l’Etat ne s’effondre pas, on en vient à croire qu’on pourrait très bien se passer d’un Premier ministre. Et pour cause, Emmanuel Macron lui-même nous y a habitué depuis le départ d’Edouard Philippe. La fonction du Premier ministre a été pour ainsi dire comme vidée de son contenu. Réduite, au fond, à un titre honorifique. Si vous voulez, la France est un peu dans la situation d’un club de foot où le président, à la place de l’entraîneur, choisit la stratégie de l’équipe, sélectionne les joueurs et fait lui-même les changements pendant le match.
Des Premier ministres, il y en a quand même eu trois depuis. Disons plutôt qu’il y a eu des locataires disciplinés de Matignon. Prenons Jean Castex, haut fonctionnaire exemplaire et sympathique certes, mais l’a-t-on jamais entendu ne serait-ce que nuancer la parole du chef de l’Etat? Elisabeth Borne, ensuite, qui venait pourtant de l’aile gauche de la macronie. Elle a, dans l’ordre et l’obéissance, appliqué des mesures disons de droite, la réforme des retraites par exemple. Quant à Gabriel Attal, populaire et séduisant, il a fallu attendre la dissolution pour qu’il affirme son indépendance vis-à-vis d’un président à qui il devait, il le dit lui-même, sa carrière politique.
Et c’est bien là l’explication de ce basculement. Emmanuel Macron possède une légitimité que ses Premiers ministres n’ont tout simplement jamais eue et un groupe parlementaire qui lui doit tout, ou presque. Hormis le général de Gaulle, aucun président de la Ve République n’avait inventé, en moins de six mois, un parti et un projet politique focalisés sur sa seule personne. La couleur avait d’ailleurs été annoncée dès le début: souvenez-vous des initiales de son premier mouvement, En Marche, E et M, deux lettres qui sonnaient comme un résumé du projet. La personnalité d’Emmanuel Macron a fait le reste: il n’a laissé personne faire ce qu’il pouvait faire, et s’est empressé de faire tout ce que les autres auraient pu faire. "Le responsable, c’est moi", pourrait d’ailleurs être le titre de ses Mémoires.
Le futur Premier ministre, "un délégué de classe"
Mais la fonction de Premier ministre fait partie de nos institutions, oui ou non? Le titre existe, mais son rôle varie en fonction de la situation. Le fondateur de la Ve République, le général de Gaulle, voyait le Premier ministre comme l’homme des affaires courantes, des chamailleries de l’Assemblée, de la petite politique politicienne. Bref, comme un super intendant. La tonalité n’a depuis pas beaucoup varié. Nicolas Sarkozy lui-même n’avait d’ailleurs pas hésité en son temps à désigner son Premier ministre de l’époque, François Fillon, comme son "collaborateur".
Enfin, il y a eu de nouvelles élections quand même et le président a perdu sa majorité, la situation n’a plus rien à voir. En cas de cohabitation, tout change effectivement. Si la majorité de l’Assemblée est défavorable au président, elle peut renverser le gouvernement, le chef de l’Etat n’a donc plus le choix, il lui faut un Premier ministre soutenu par le Parlement. Et c’est bien le problème de ce que nous vivons en ce moment, aucun candidat à Matignon ne peut se prévaloir d’une majorité pour appliquer un programme. Résultat des courses: à moins d’un revirement d’alliance contre-nature, le futur Premier ministre aura bien le droit à un bureau et une voiture, mais, dans les faits, sa fonction ne dépassera guère celle d’un délégué de la classe.