Record d’abstention: "Avec les sondages, les gens se disent que les législatives sont jouées d’avance"

Un bureau de vote à Gardouch (Haute-Garonne). - AFP
Céline Braconnier est directrice de l'Institut d'études politiques de Saint-Germain-en-Laye, et spécialiste de l'abstention.
"Ce chiffre de l’abstention est un des effets secondaires des sondages. Quand les résultats sont mis en scène et qu’ils sont très francs, très nets, ça produit cet effet de démobilisation. Les gens se disent que de toute façon, c’est joué d’avance. Et que c’était aussi déjà joué avec l’élection du président. Il y avait déjà un découragement de l’électorat des candidats qui ont perdu. Mais cette mise en scène de la victoire annoncée des candidats LREM a certainement ajouté son facteur à la démobilisation.
Il n’y a pas que des facteurs politiques qui expliquent l’abstention. Là, on bat des records historiques. Mais il faut bien voir que ces records historiques d’abstention ont été déjà battu à chaque élection législative précédente depuis une quinzaine d’années. L’abstention est devenue une donne essentielle des législatives.
Et ce sont toujours les mêmes qui se démobilisent. Ce sont les plus jeunes, les 18-30 notamment. Les plus fragiles économiquement: chômeurs, ouvriers… Ce qui fait qu’on a un corps électoral aux législatives, par rapport à celui de la présidentielle, qui est beaucoup plus âgé, beaucoup plus aisé, beaucoup plus diplômé. Et ça ne sert pas n’importe quel candidat. Il est évident que l’abstention dans sa composante sociologique, sert les candidats de La République en marche.
"La campagne n’est pas de suffisamment forte intensité"
Les gens qui s’abstiennent se disent que ça ne sert à rien. Ils sont très éloignés du politique et du monde institutionnel au quotidien. Ils ont besoin pour se mobiliser de voir pourquoi ils y vont, d’être incités. Et pour les législatives, la campagne n’est pas de suffisamment forte intensité pour réussir à faire voter des gens qui s’intéressent assez peu à la politique. Et ça, ça se joue à la télévision, avec des grands débats et des émissions de grande écoute, qui jouent un rôle essentiel dans la mobilisation pour la présidentielle.
Dès qu’on baisse l’intensité de la campagne, ces gens se désintéressent de l’élection. Aujourd’hui, j’étais à Saint-Denis (93). Je peux vous dire qu’il y a toute une partie de la population de Saint-Denis qui savait à peine qu’il y avait des élections. Qui a connu les candidats via les professions de foi reçues au courrier. Les records d’abstention ils sont battus comme d’habitude dans les quartiers populaires.
Il y a aussi le nombre de candidats. Ils étaient 14 en moyenne en 2012. Là il y en avait 21. Ça peut aller jusqu’à 26 candidats. C’est une offre électorale illisible pour les gens qui ne sont pas très politisés. Avec en plus cette difficulté qui est la structuration politique qui prive les candidats de leurs étiquettes partisanes habituelles. Donc on ne savait plus qui était avec le président, qui était contre… Tout ça explique que les gens ne se sentent pas vraiment concernés."