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Enfants rapatriés de Syrie: comment ils sont accueillis et suivis psychologiquement

Trente-cinq enfants ont été rapatriés en France ce mardi, depuis les camps de prisonniers djihadistes en Syrie. Serge Hefez, psychiatre spécialiste de l'enfance à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, explique au micro de RMC les enjeux du suivi psychologique de ces enfants.

Des camps de prisonniers djihadistes en Syrie à un centre d’hébergement dans les Yvelines. Trente-cinq enfants ont été rapatriés en France ce mardi. Pour la première fois, 16 mères ont été également extraites des camps syriens et ramenées sur le territoire national, où elles ont été soit placées en garde à vue, soit mises en détention, dans le cadre de procédures judiciaires le plus souvent ouvertes pour "association de malfaiteurs terroristes".

A peine descendus de l’avion, les mineurs ont été accueillis par une dizaine de personnes de la protection de l’enfance, spécialistes des traumatismes. Selon eux, ces enfants avaient l'air perdus et fatigués, mais vont tous "bien" physiquement. Ils ont été placés dans un complexe aux Mureaux, un peu en retrait, avec un grand espace vert, pour quelques jours. Ils jouent au ballon, dessinent... Des activités normales pour des enfants, mais qu'ils retrouvent enfin. Une sorte de transition entre leur vie dans le camp et la prochaine étape, rejoindre une famille d'accueil spécialisée et formée à ces questions ou un établissement. Et dans quelques mois, quand ce sera possible, les membres de leur famille. Tous seront suivis de près par des psychiatres.

"Ils ont totalement oublié ce qu’était un environnement normal"

"Ils ne connaissent que le camp, que leur mère et quelques autres à côté, que quelques enfants, explique le Dr Serge Hefez, psychiatre spécialiste de l'enfance à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, qui suit certains enfants revenus en France depuis plusieurs années. Ils ont totalement oublié ce qu’était un environnement normal, une ville, un hôpital, une maison, une école... Il faut bien se mettre en tête à quel point ces enfants sont hors monde, hors sol, à l’heure actuelle. Il s’agit de faire avec eux un vrai travail pour se ré-acclimater à leur pays, à leur environnement, aux personnes qui vont être là, pleines d’empathie, pour les écouter. Il faut bien comprendre que ça prend du temps."

Dans les Yvelines, dans ce centre qui sert "de sas, de bulle, avec un environnement le plus protecteur possible", l’enjeu est de commencer à "mettre des mots sur les choses". Petit à petit, car le travail va être long.

"On ne peut pas aller plus vite que la musique, indique le Dr Serge Hefez. Il y a la spontanéité des enfants, qui fait qu’ils vont avoir envie de rattraper le temps perdu. Mais il n’empêche que leur vécu est là. Ce vécu, il va falloir le retravailler progressivement avec eux. Avec des adolescents qui sont en France depuis plusieurs années, on continue de travailler cette histoire. Ils ne vont pas mal, ils vont à l’école, ont une vie normale. Mais c’est nécessaire de continuer à travailler avec eux sur ce qu’il s’est passé. Ça se transforme au fil des années."

La séparation avec la mère, un traumatisme brutal

Pour ces enfants de retour de Syrie, le lien avec leur mère sera au cœur des discussions. Ils devront avoir l’autorisation des juges pour pouvoir les revoir. "Le plus grand traumatisme qu’ils vont vivre, là, c’est qu’ils vont être brutalement séparés de leurs mères, qui vont être incarcérées, souligne le Dr Serge Hefez. Par rapport à l’ensemble des traumatismes qu’ils ont vécu, un père mort, des bombardements, etc., ce traumatisme-là va être peut-être le plus actif autour de leur arrivée. Il faut leur faire comprendre que le lien n’est pas rompu avec leurs mères. D’après ce que je sais, avec celles avec lesquelles on a été en contact, elles les préparent, leur expliquent que c’est très important de rentrer au pays, que ça va être évidemment bien préférables à l’enfer qu’ils vivent depuis deux, trois ans. Elles les préparent à la séparation. On peut espérer que la plupart des mères ont fait ça. Sinon, il faut mettre des mots là-dessus, anticiper ce qu’ils ont dans la tête, expliquer ce qu’ils ressentent mais n’arrivent pas à dire. C’est tout le travail de la psychologie de l’enfant."

Ces enfants vont sans doute rencontrer des difficultés à court et moyen terme, mais une nouvelle vie les attend. "Après le traumatique, on est dans le post-traumatique et ça peut durer des mois et des années, reconnait le Dr Serge Hefez. On est dans le long terme. Il y a des cauchemars, des réminiscences, des insomnies, des crises d’angoisse, des problèmes alimentaires… Cela parait tout à fait normal par rapport à ce qu’ils ont vécu. Je dois quand même dire que j’ai toujours été surpris, heureusement surpris, par la faculté de résilience de ces enfants que j’ai rencontré. Certes, ceux-là n’avaient pas connu les camps, mais ils ont eu des capacités de résilience absolument incroyables. En quelques semaines, on les voyait jouer au foot avec les autres gamins, être très actifs, très joyeux, avoir envie d’aller à l’école, d’apprendre, de reprendre une vie la plus normale aussi. Surtout pour ceux qui ont une famille ici, avec des liens qui se renouent assez vite."

LP avec Maryline Ottmann