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Cancer et charcuterie: "Il ne suffit pas de prendre ce qu'on croit être du haut de gamme pour être protégé"

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Votre jambon est-il nocif pour votre santé? Bien trop souvent, selon Guillaume Coudray. Dans "Cochonnerie, comment la charcuterie est devenue un poison" (éd. La Découverte), qui sort jeudi, le journaliste dénonce les effets cancérogènes d'une majorité de produits de charcuterie. En cause, l'ajout de nitrates et de nitrites, des additifs conservateurs et  colorants, qui augmentent le risque de cancer colorectal.

Guillaume Coudray a conduit une enquête de cinq ans dans les archives administratives et médicales. Dans "Cochonnerie, comment la charcuterie est devenue un poison" (éd. La Découverte), il raconte comment les producteurs de charcuterie ont massivement recours aux nitrites et aux nitrates dans leurs produits. Ils en justifient l'usage par la lutte contre le botulisme. Mais ces additifs leur permettent en réalité d'accélérer la fabrication et de colorer vos jambons ou vos rôtis de porc. Et surtout, ils augmentent le risque de cancer colorectal chez les consommateurs.

"Il y a deux grandes catégories de produits: les jambons crus, et les produits cuits et étuvés. Sur le jambon cru c'est plus facile de s'y retrouver. Pour être sûr de ne jamais manger de charcuterie nitrée il faut prendre du jambon de Parme. Depuis 1993, les 150 fabricants de jambon de Parme ont renoncé au traitement nitrité. Et celui-là, vous le trouverez même dans les magasins discount. Sur le cuit, c'est quasiment mission impossible, sauf à aller chez des charcutiers "éclairés", qui fabriquent du "jambon blanc" vraiment blanc.

"C'est endémique, il y a une quantité de produits, voire une majorité, qui sont nitratées ou nitritées"

Quand les cancérologues disent que les charcuteries provoquent le cancer colorectal, instinctivement, le consommateur se dit 'moi je prends de la bonne charcuterie, je la paie chère, donc ce n'est pas celle-ci qui est cancérogène'. Mais c'est infiniment plus compliqué que ça. Il ne suffit pas de prendre ce qu'on croit être du haut de gamme pour être protégé des composés cancérogènes que font apparaître le nitrate et le nitrite. Parfois, c'est effectivement le cas: parmi les rillettes, seules les plus bas de gamme sont nitritées. Mais souvent, on croit qu'en achetant un peu cher tel jambon, on est protégé. Pas du tout. Aujourd'hui c'est endémique, il y a une quantité de produits, voire une majorité, qui sont nitratées ou nitritées.

En 2015, le Centre international de recherche sur le cancer (le CIRC, l'agence de référence de l'Organisation Mondiale de la Santé en matière de cancer) a livré le verdict de 30 ans d'investigations épidémiologiques. C'est la synthèse de plus de 800 études. Les experts de l'OMS ont été obligés de classer la charcuterie en catégorie 1. En catégorie 1, il y a des substances atroces: le tabac, l'amiante… C'est la première fois que ça arrive pour un groupe de produits alimentaires consommés en Europe. Alors ça ne veut pas dire que la charcuterie est autant cancérogène que l'amiante ou le tabac. Ou que ça a le même impact en terme de nombre de morts. Ce que ça dit, c'est que c'est cancérogène avec certitude.

"Il n'y a pas de raison aujourd'hui de continuer à fabriquer de la charcuterie rendue cancérogène par le nitrate ou le nitrite"

La seule solution, ce sont les charcuteries sans nitrites et sans nitrates. Il n'y a pas de raison aujourd'hui de continuer à fabriquer de la charcuterie rendue cancérogène par le nitrate ou le nitrite. On voit très bien ce qui bloque en observant la situation aux USA. Au début des années 70, les cancérologues constatent que des substances cancérogènes apparaissent dans la charcuterie nitrée. L'industrie américaine livre alors une guerre politique et une véritable guérilla de communication. Les lobbyistes, avec des moyens colossaux, ont affronté pendant 10 ans les agences de santé publique. Et finalement, cette guerre contre la santé publique, les nitriteurs ont réussi à la gagner. Les consommateurs ont perdu face aux lobbies: malgré tous leurs efforts, les agences sanitaires n'ont pas réussi à mettre en oeuvre l'interdiction prévue. Et quand Reagan a été élu (1980), il a nommé le chef des nitriteurs au ministère de l'Agriculture. Disons qu'il a fait du Trump... Quand je vois les nominations au sein des agences de santé publique par Donald Trump, c'est le même scénario. Il place les alliés des lobbyistes à la tête des agences sanitaires, quand ce n'est pas les lobbyistes eux-mêmes.

En France, on continue à fabriquer de la charcuterie nitritée ou nitratée, alors que nos charcutiers peuvent faire sans. Cette situation est d'un autre temps. Aujourd'hui, les gens s'informent, ils ne vont pas longtemps continuer à manger des charcuteries cancérogènes alors qu'on peut faire des charcuteries saines. Sur des produit comme les charcuteries, le consommateur à un pouvoir. A chaque fois qu'il achète, il vote pour telle ou telle marque, tellle ou telle recette. Aujourd'hui il y a des marques de consommateurs qui se mettent en place, il y a une pétition sur change.org, les gens échangent sur les réseaux sociaux… Je n'imagine pas que dans quelques années les papas et les mamans continuent à donner des charcuteries nitritées à leurs enfants. Les clients n'accepteront pas longtemps de courir un risque de cancer parce qu'on a rajouté un additif qui améliore la couleur du produit et qui protège surtout les marges du fabricant".

Propos recueillis par Antoine Maes