Grossophobie médicale: "à 8 ans, un médecin m'a hurlé dessus en disant que j'allais mourir à 20 ans"

- - AFP
Daria Marx est blogueuse féministe.
"Je suis grosse depuis que je suis toute petite, j'ai eu des troubles du comportement alimentaire importants.
Donc toutes mes expériences avec le corps médical ont été douloureuses depuis longtemps. Je me souviens particulièrement d'un médecin qui m'a hurlé dessus dans son cabinet en me disant que j'étais grosse et que j'allais mourir d'une crise cardiaque à 20 ans et que je devrais avoir honte. Je devais avoir 8 ou 9 ans. Ça a très mal commencé et ça ne s'est pas bien poursuivi.
Mes parents étaient dans l'obsession de me faire maigrir, comme tous les parents d'enfants gros, donc ils ne disaient rien. Et je pense qu'ils ne se rendaient pas compte de l'impact que ça pouvait avoir sur moi, mais ce sont des choses qui sont restées ancrées en moi et qui sont source d'angoisse à l'âge adulte.
Quand on arrive à l'âge adulte, je pense que tous les gros ont un peu un truc d'évitement du corps médical. On évite le plus possible d'aller consulter sauf si on en a trouvé un de confiance, et là ça marche. Mais quand on déménage, que l'on doit trouver un nouveau généraliste ou consulter un spécialiste, il y a un gros phénomène d'évitement. Et après c'est toujours l'angoisse de savoir comment ça va se passer: est ce que je vais être traitée normalement ou est-ce que toute la source de mes problèmes, ça va être mon poids? Est-ce que je vais encore devoir dire que non, je ne veux pas de bypass [opération visant à réduire la taille de l'estomac, ndlr]? C'est tout un processus qui est douloureux.
"Ils sont investis d'une mission de sauveur"
Et puis quand je viens consulter pour une angine ou une grippe, on en a rien à foutre que je fasse 60 kilos ou 180. Ce n'est pas le sujet. Mais comme ils sont investis d'une mission de sauveur, ils veulent bien soigner l'angine mais ils veulent surtout parler du problème plus grave.
J'ai très longtemps évité d'aller consulter, je suis toujours passée par SOS Médecins. Et puis j'ai eu la chance de rencontrer un médecin traitant avec qui on se comprend et qui est bienveillant et respectueux. Il me parle de mon poids mais dans des termes bienveillants et pas agressifs, donc je n'ai plus peur.
Mais je n'ai toujours pas trouvé de gynéco. Je sais que la grossesse c'est l'épreuve totale pour les personnes grosses. On sait que les femmes qui ont un poids standard sont extrêmement surveillées sur leur prise de poids mais les grossesses des personnes obèses sont systématiquement classées grossesses pathologiques. Oui, l'obésité peut avoir un taux de morbidité mais ce n'est pas systématique. Chaque obèse est un cas unique. La généralisation de la peur et du flicage total de la femme enceinte grosse, ça fait des grossesses complètement flippées.
Je suis déjà partie d'un cabinet de médecin. Il voulait absolument que je me fasse faire un bypass alors que j'étais venue le consulter pour un problème d'orthopédie. Donc je lui ai dit dans des termes peu gracieux ce que je pensais de sa recommandation pour de la chirurgie bariatrique. Une fois j'ai envoyé un mail à une gynécologue à la suite d'une consultation qui s'était très mal passée, je lui ai dit qu'elle avait été particulièrement brutale. Elle m'avait fait une échographie avec des remarques extrêmement blessantes, je n'ai jamais eu de réponse.
"On nous le reproche comme si on l'avait choisi"
Ce n'est pas à chaque fois de la grossophobie crasse, mais à chaque fois mon poids est évoqué. Après, c'est normal car les médecins s'inquiètent de notre santé au sens général, et on est en surpoids donc ils le voient, mais la manière dont c'est amené, dont on nous reproche violemment d'être en surpoids comme si on l'avait choisi et comme si on voulait être en mauvaise santé, c'est assez hallucinant.
Et ça peut être compliqué parce qu'on met tout sur le surpoids et donc les médecins ne font pas forcément le bon diagnostic. Par exemple, on veut absolument que les gens en obésité soient diabétiques alors qu'ils ne le sont pas et que le problème vient d'ailleurs. On veut absolument qu'ils aient des douleurs articulaires alors que le problème vient d'ailleurs et on le découvre des années après, mais on avait mis ça sur le dos de l'obésité.
Je pense qu'il y a un vrai amalgame entre faire la guerre à l'obésité et faire la guerre à l'obèse. Par exemple, on fait de la prévention contre le cancer, mais on ne va pas chier sur les cancéreux. On peut très bien déclarer que l'obésité ce n'est pas bien, faire de la prévention et soigner des gens qui sont obèses, mais en faisant la guerre aux obèses, ça ne fonctionne pas. Et ça le corps médical ne le comprend pas".