"Expliquez-nous": comment démantèle-t-on une centrale nucléaire ?
Cela va se passer la nuit prochaine à 2h30. Il y aura beaucoup de monde et beaucoup de regret dans la salle de commande de Fessenheim, parce que les salariés regrettent cette fermeture. Un cadre va appuyer sur le bouton stop pour arrêter le réacteur numéro un qui fournissait de l'électricité depuis décembre 1977, c’est-à-dire depuis plus de 42 ans.
Dans quatre mois, fin juin, le deuxième réacteur sera à son tour arrêté et Fessenheim sera alors hors service. Depuis le début du programme nucléaire français dans les années soixante, c’est la première fois que l’on débranche une centrale de cette taille. C’est une décision politique prise par François Hollande et confirmé par Emmanuel Macron. Parce que l’on a prévu de baisser la part du nucléaire dans notre production d'électricité, de 75% à 50% d’ici 15 ans. On ferme aussi parce que les écologistes et les Allemands le demandent depuis des années. Parce que la centrale était prévue pour 30 ans et qu’elle aura tenu plus de 40. Même si les spécialistes ont dit et redit qu’elle pouvait encore fonctionner plusieurs années, voire plusieurs décennies en étant surveillée.
La centrale va cesser son activité, mais son démantèlement sera long et coûteux. Pour arrêter la centrale, on appuie sur un bouton, mais pour la démanteler, il faut compter une vingtaine d’années. La première phase consiste à sortir le combustible radioactif du cœur des réacteurs. Concrètement, c'est des centaines de tubes de 4 mètres de long qui contiennent de l’uranium enrichi et qui sont hautement radioactif. Ces tubes vont être trempés dans des piscines sur place pendant trois ans pour les faire refroidir, puis ils partiront vers le centre de retraitement de la Hague. C’est la phase numéro un.
Phase numéro deux, on commence à détruire tous les équipements et les bâtiments et ça prend 15 ans, parce que c’est très délicat et technique. Des robots sont utilisés pour manipuler tous les déchets radioactifs.
Le business du démantèlement
Phase numéro trois, on s’attaque aux deux réacteurs et aux cuves. C’est encore plus délicat. Ensuite, il faut dépolluer et remettre le site en l’état. Vingt ans au minimum et un budget d’un milliard d’euros. Mais en matière nucléaire, on est habitué à ce que les délais ne soient pas respectés et que les coûts explosent.
Prenons l’exemple de la seule centrale que la France ait fermée. Elle était très petite et dépassée. C’était la centrale de Brennilis en Bretagne. Elle a fermé en 1985, et EDF repousse en permanence la date de fin des travaux. On vient d’annoncer le démantèlement complet pour 2039, soit 54 ans après la fermeture.
Le principal problème, ce sont les déchets. Le nucléaire, c’est une énergie propre qui produit des déchets très sales. Les plus radioactifs de Fessenheim seront convoyés par trains dans trois ans vers le centre de la Hague dans la manche où ils resteront une dizaine d’années. Puis ils devraient rejoindre le centre de Stockage de Bure dans la Meuse. C’est un énorme trou à 500 mètres de profondeur, sous une épaisse couche d’argile. L'idée, c’est d’y enfouir des futs pour des siècles. Sauf que les travaux doivent commencer dans deux ans et durer jusqu’en 2035. Le centre d’enfouissement sera ensuite exploité théoriquement jusqu’en 2150. C’est ce qui est prévu, mais pour l’instant, c’est surtout un projet.
Le démantèlement de centrale nucléaire va donc devenir une véritable industrie. Et la France est leader de l’exploitation du nucléaire espère devenir leader du démantèlement. Le marché est énorme. Les Anglais viennent de provisionner 100 milliards d’euros pour fermer les centrales dans les années qui viennent. Les Américains sont en train de démanteler 37 réacteurs parce qu’ils ne sont plus rentables, à cause, du faible coût du gaz de schiste.
Les Allemands démantèlent 29 acteurs actuellement, décision politique prise après Fukushima. Les Japonais ont 37 réacteurs à l'arrêt. Les Suisses et les Belges sont aussi en train de sortir du nucléaire. Les Italiens étaient les premiers dès 1986 après Tchernobyl.
En France, il n’est pas prévu de fermer d’autres centrales après Fessenheim, mais il est prévu d'arrêter des réacteurs. Souvent deux sur quatre, par exemple à Graveline, au Bugey, à Tricastin, à Chinon. Bref dans le nucléaire, il y a surtout de l’avenir pour les démolisseurs.