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Attentats du 13 novembre: "Je n'ai jamais vu quelqu'un qui a mal pris mon sketch"

L'affiche du spectacle de Yassine Belattar, "Ingérable".

L'affiche du spectacle de Yassine Belattar, "Ingérable". - Photo théâtre de l'Atelier

Son sketch "les terroristes" a été vu plus de 700.000 fois sur Youtube. Il fut aussi le premier humoriste à jouer au Bataclan, en mai 2017. Deux ans après les attentats du 13 novembre 2015, Yassine Belattar raconte à RMC.fr comment on peut rire d'un épisode aussi traumatisant. Et surtout pourquoi cela lui semble si important.

Yassine Belattar a 35 ans. Humoriste, il anime l'émission "Les 30 glorieuses" sur Radio Nova. Chaque lundi, il est sur les planches du théâtre de l'Atelier pour son one-man show, "Ingérable". Il y sera encore ce lundi, deux ans jour pour jour après les attentats, et y jouera "plus que jamais" son sketch "les terroristes".

"C'est compliqué à partir du moment où c'est un sujet qui est un peu touchy. Il faut avoir le courage d'en parler. Mais tout le monde n'a pas le privilège de soigner ses démons devant des salles de 1000 personnes. L'idée c'est de savoir ce qu'on veut dire et de quelle manière on veut le faire. Aujourd'hui, les plateaux de télé étant squattés par des gens bien trop sérieux pour en parler – notamment chez vous – les conséquences sont extrêmement graves sur le moral des Français.

Ils ont déjà souffert une première fois avec les attentats, ils n'ont pas besoin de voir des pseudo-spécialistes leur dire qu'il faut souffrir tout le temps. C'est peut-être la différence avec la société anglo-saxonne. Eux mettent l'entertainment au service du bien-être des spectateurs. Nous aujourd'hui, quand on regarde la télé c'est totalement anxiogène. 

"Je ne fais pas de blague sur les victimes. Je fais des blagues sur tout ce qui entoure ça"

Ce sketch, je l'ai fait une dizaine de jours après les attentats. A ce moment-là, on avait le profil de ceux qu'étaient les auteurs. La première fois, les gens étaient estomaqués. Ceci dit, je viens de lire un article du Monde, il y a des biscuits dedans pour que je fasse encore des blagues. A chaque fois qu'il y a quelque chose de nouveau, je le rajoute au sketch. Mais j'ai autant de problèmes à faire des blagues sur #BalanceTonPorc que j'en ai eu pour en faire sur les attentats.

Je préviens les gens en leur disant 'on va en rire'. Certains disent non. Et à un moment ils en rigolent. C'est aussi simple que ça. Les gens sont au courant de quel comique ils vont voir. Ils savent que j'en parle et me laissent suffisamment de latitude, et je leur en suis fortement reconnaissant, pour que ça paraisse bienveillant. Je ne fais pas de blague sur les victimes. Je fais des blagues sur tout ce qui entoure ça. C'est une manière de se soigner.

"Jouer ce sketch-là m'a permis de me réconcilier avec une part de moi-même"

J'ai été le premier humoriste à jouer au Bataclan et à Molenbeek. Je suis plus à l'aise quand je joue dans ces endroits-là que parfois dans d'autres villes. Parce que les gens sont totalement touchés par cette actualité. Pour Molenbeek, c'était juste impossible pour moi de laisser une caricature prospérer sur le dos des habitants. Et concernant le Bataclan, cette salle n'étant pas devenu un Carrefour Market, il était compliqué pour moi d'accepter que des gens continuent de la boycotter comme ils le font. Il ne faut pas oublier que certains artistes boycottent le Bataclan. Economiquement, le Bataclan n'est pas bien parce que beaucoup de gens ont la hantise de venir.

Jouer ce sketch-là m'a permis de me réconcilier avec une part de moi-même. L'idée c'était de trouver un sketch qui puisse me permettre de mettre en avant tout ce que j'ai pu vivre en tant qu'artiste, en tant que Français, en tant que musulman. C'est pour ça que ce sketch est devenu, comme on me la dit récemment, quasiment culte. Beaucoup de gens, quand ils le voient, se disent qu'ils ne vont pas regarder jusqu'au bout. Et après ils m'envoient des messages pour me dire qu'ils se sont retrouvés à rire.

Des rescapés du Bataclan sont venus voir le spectacle, et ça m'a vachement touché. Ils disaient 'il faut qu'on se soigne'. La plupart des gens qui ont vécu le Bataclan, on n'a pas pris de nouvelles d'eux derrière. C'est les tuer une deuxième fois. Quand je vois les familles de victimes qui se posent la question de porter plainte contre l'Etat, c'est qu'on a failli sur certains points.

"Jusqu'à preuve du contraire, je n'ai jamais vu quelqu'un qui a mal pris ce sketch"

Il y a des choses qu'il faut qu'on amène avec plus de pédagogie. Par exemple les policiers qui sont intervenus pendant les attentats. Certains sont venus voir mon spectacle au Bataclan. Ils m'ont raconté que juste après les attentats, on leur a demandé de continuer à travailler. On n'a même pas pris le temps de les mettre en vacances, en congés… Les mecs ont été actifs tout de suite. Comme les pompiers. On n'a pas le temps de prendre soin d'eux. Donc ce sketch-là c'était aussi pour faire rire ces gens-là.

Jusqu'à preuve du contraire, je n'ai jamais vu quelqu'un qui a mal pris ce sketch. Il a un vrai succès, qui est lié à ce qu'il raconte. Je ne vois pas pourquoi on passerait notre vie à nous cacher de ça. On sait que c'est triste, c'est même au-delà du triste. Mais la réalité c'est que la vie continue. Après le 13 novembre, il y a le 14. Et le 14 c'est un jour comme les autres. Que ça nous plaise ou pas, la vie continue. Et donc le rire continue".

Propos recueillis par Antoine Maes