Bayrou veut rouvrir les cahiers de doléances: "L'immigration y est évoquée mais n'est pas la priorité"

Plus 200.000 contributions rédigées à la main, des centaines de milliers d'autres en ligne. Fin 2018, en pleine crise du mouvement social des "gilets jaunes", le président de la République Emmanuel Macron demandait aux maires d'ouvrir leur mairie afin de laisser les Français s'exprimer.
Le chef de l'Etat inaugurait alors son "Grand débat" et s'apprêtait à partir sillonner la France pendant trois mois, afin d'échanger avec ses concitoyens. Six ans plus tard, ces cahiers de doléances n'ont jamais été rendus publics et pratiquement pas exploités. Ils sont désormais entreposés dans les archives départementales.
Gilets jaunes, un mouvement "négligé"
Mardi, dans son discours de politique générale, le Premier ministre François Bayrou a annoncé vouloir "reprendre l'étude" de ses cahiers, évoquant les gilets jaunes et un mouvement "négligé". Les "gilets jaunes" ont "dénoncé l'état qu'ils ressentaient de notre société", "la division du pays entre ceux qui comptent et ceux qui ne comptent pas", mais "la promesse française suppose que nous puissions abattre le mur qui existe entre les uns et les autres."
Une bonne nouvelle assure auprès de RMC, Fabrice Dalongeville, maire sans étiquette d'Auger-Saint-Vincent (Oise). Ce dernier avait été longuement suivi par Hélène Desplanques, autrice et réalisatrice du documentaire Les Doléances, sorti en 2024, qui s'intéresse justement à ces cahiers de doléances.
"Démocratie, engagement, argent public..."
"Il faut se réveiller. Il est temps que cela se fasse, cela reste toujours une brûlante actualité. Ce qu'on va trouver, c'est beaucoup de propositions sur la démocratie, l'engagement d'avoir des élus qui font attention à l'usage de l'argent public. Beaucoup d'éléments sur les enjeux de transition, sur les retraites", explique Fabrice Dalongeville. Selon l'édile, les Français ne seraient donc finalement pas obnubilés par "l'immigration ou l'insécurité". "C'est évoqué mais ce n'est pas la priorité."
Un constat partagé il y a un an par Gilles Proriol, dans les colonnes de Libération. Expert de l'analyse de la parole citoyenne, il a travaillé sur les cahiers de doléances, numérisés par la Bibliothèque nationale de France (BNF). "On se rend compte que lorsque la question est libre, les gens ne parlent pas de l’immigration et la sécurité spontanément", avait-il affirmé.
Les Français se sont exprimés et "il ne s'est rien passé"
"On a demandé aux Français de se mobiliser massivement pendant trois mois, au moment du 'Grand débat". On leur a dit: 'Allez vous exprimer dans les mairies, sur internet'. Au bout de ce processus, il ne s'est rien passé. Pire, il y a eu une amnésie réelle à l'endroit des écrits", avait regretté sur RMC, en octobre dernier, Hélène Desplanques. Déplorable selon elle car "une expression citoyenne directe n'avait pas eu lieu au XXe siècle".
Des politiques qui se disent à l'écoute des Français mais qui ne profitent pas de ce matériau pourtant considérable, abondait dans ce sens Gilles Proriol, toujours dans Libération. "Lors de la dernière présidentielle, aucun candidat n’a fouillé les archives alors que c’est la plus grande consultation publique qui a eu lieu. C’est un trésor national enterré aux archives, que personne n’utilise."
Pour rappel, Emmanuel Macron devait prendre la parole le 15 avril 2019 pour faire le bilan du "Grand débat" et des consultations citoyennes. Sauf que c'est lors de cette journée que s'est déclenché l'incendie à Notre-Dame de Paris. Avec la suite que l'on connaît.