Retraites, immigration, gilets jaunes… Ce qu’il faut retenir du discours de politique générale de François Bayrou

Le Premier ministre, François Bayrou, à l'Assemblée nationale lors de sa DPG e 14 janvier 2024. - Thomas SAMSON / AFP
Pendant plus d’une heure et demie, le Premier ministre François Bayrou a prononcé sa déclaration de politique générale à l’Assemblée nationale, ce mardi 14 janvier 2025. Budget, retraites, immigration, éducation, santé… Voici ce qu’il faut retenir du discours de François Bayrou dans l’Hémicycle.
Retraites
Le Premier ministre, François Bayrou, a indiqué lors de sa déclaration de politique générale qu'il remettait la réforme des retraites "en chantier" sans "aucun tabou", mais sans la suspendre. Devant l'Assemblée nationale, le chef du gouvernement a expliqué qu'il allait "demander à la Cour des comptes une mission flash de quelques semaines" en vue d'établir "un constat" fondé sur "des chiffres indiscutables", pour pouvoir rapidement négocier sur des bases communes.
"La loi de 2023 a prévu que l'âge légal de départ passerait à 63 ans fin 2026. Une fenêtre de tir s'ouvre donc" mais "je souhaite fixer une échéance à plus court terme, celle de notre automne où sera discutée la prochaine loi de financement de la Sécurité sociale", a dit le Premier ministre.
"Nous pouvons, j'en ai la conviction, rechercher une voie de réforme nouvelle, sans aucun totem et sans aucun tabou, pas même l'âge de la retraite, à condition qu'elle réponde à l'exigence fixée", c'est-à-dire ne pas dégrader "l'équilibre financier" du système, ce qui serait "une faute impardonnable", a-t-il dit.
Il a ainsi annoncé la création d'une "délégation permanente", composée des "représentants de chaque organisation", qui se réunira vendredi puis sera chargée de travailler "autour de la même table, dans les mêmes bureaux, pendant trois mois à dater du rapport de la Cour des Comptes".
"Si au cours de ce conclave, (...) cette délégation trouve un accord d'équilibre et de meilleure justice, nous l'adopterons. Le Parlement en sera saisi lors du prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) ou avant, si nécessaire, par une loi", a promis Bayrou. En revanche, faute d'accord, la réforme actuelle continuera de s'appliquer, a indiqué le Premier ministre.
Déficit
La France vise un déficit public de 5,4% du PIB en 2025, supérieur à la projection de 5% du précédent gouvernement, et abaisse sa prévision de croissance à 0,9% cette année contre 1,1% avant la censure, a annoncé le nouveau Premier ministre François Bayrou.
"Les prévisions de croissance à la suite en particulier de la crise née du vote de la motion de censure (du gouvernement Barnier en décembre) ont toutes été revues à la baisse".
"Nous ne voulons pas ignorer ces avertissements. Le gouvernement a donc décidé de revoir sa prévision de croissance pour 2025, elle était de 1,1% avant la censure, nous la fixons à 0,9%, conformément aux prévisions de la Banque de France", a-t-il développé.
L'objectif de déficit public sera fixé à 5,4% du produit intérieur brut (PIB) pour cette année, avec le maintien de l'objectif de le ramener en 2029 au maximum de 3% toléré par la Commission européenne. Pour y parvenir, "des économies importantes seront proposées pour la suite", a souligné François Bayrou, sans les détailler.
Immigration
"Il est de notre devoir de conduire une politique de contrôle et de régulation" de l'immigration, a indiqué François Bayrou lors de son discours de politique générale, annonçant également qu'il n'y avait "pas de tabou" sur le droit du sol à Mayotte.
"Il est de notre devoir de conduire une politique de contrôle, de régulation et de retour dans leur pays de ceux dont la présence met en péril, par leur nombre, la cohésion de la nation", a déclaré le Premier ministre devant les parlementaires, ajoutant que l'immigration est "une question de proportion".
François Bayrou a indiqué qu'il réactivera "le comité interministériel de contrôle de l'immigration", arguant que "93% des OQTF (Obligations de quitter le territoire français) ne sont pas exécutées". En 2019, un Comité interministériel sur l'immigration et l'intégration avait déjà été mis en place par l'ex-Premier ministre Edouard Philippe.
"Je sais que les parlementaires ne manqueront pas de prendre des initiatives également. Il nous appartiendra ensemble de les articuler avec la nécessaire transcription du pacte européen" asile immigration, a ajouté François Bayrou, entrouvrant la possibilité de nouvelles mesures législatives sur le sujet.
Gilets jaunes
François Bayrou a souhaité mardi "reprendre l'étude des cahiers de doléances" rédigés à l'issue des débats qui avaient suivi les manifestations des "gilets jaunes", un mouvement "négligé" selon lui.
Les "gilets jaunes" ont "dénoncé l'état qu'ils ressentaient de notre société", "la division du pays entre ceux qui comptent et ceux qui ne comptent pas", mais "la promesse française suppose que nous puissions abattre le mur qui existe entre les uns et les autres", a affirmé le Premier ministre.
"C'est la raison pour laquelle nous devrons reprendre l'étude des cahiers de doléances", afin que "s'expriment dans notre société (...) les attentes souvent les plus inexprimées, qui sont celles des milieux sociaux exclus du pouvoir".
Les cahiers de doléances issus du mouvement des "gilets jaunes" (2018-2019), porteur notamment de revendications sur les retraites et le pouvoir d'achat, avaient été ouverts pour recueillir des contributions durant le "grand débat national", initié à l'époque par Emmanuel Macron. Mais cinq ans après, ils n'ont pas été rendus publics, et seuls quelques chercheurs y ont eu accès.
Proportionnelle et cumul des mandats
François Bayrou a proposé d'avancer "sur la réforme du mode de scrutin législatif", avec "un principe de proportionnelle", soulignant qu'il devra "être enraciné dans les territoires".
Cette réforme, "probablement", "nous obligera à reposer en même temps la question de l'exercice simultané d'une responsabilité locale et nationale", a ajouté le Premier ministre, suscitant la protestation de nombreux députés à gauche, plus de dix ans après la suppression du cumul des mandats lors de la présidence de François Hollande.
Nouvelle-Calédonie
Dans sa déclaration de politique générale, Bayrou a dit qu'il inviterait en janvier "les forces politiques" de Nouvelle-Calédonie à ouvrir des négociations à Paris "qui devront aboutir à la fin de ce trimestre".
L'adoption par l'Assemblée nationale d'une réforme très controversée du corps électoral calédonien avait déclenché des émeutes massives en mai, qui "ont plongé ce territoire dans un profond marasme", a rappelé le Premier ministre, souhaitant la reprise du "processus politique" sous la houlette du ministre des Outre-mer Manuel Valls.
"J'inviterai en janvier les forces politiques à venir à Paris pour ouvrir ces négociations", a-t-il indiqué, disant souhaiter que "le processus politique reprenne avec des négociations qui devront aboutir à la fin de ce trimestre". "Je crois que là encore, femmes et hommes de bonne volonté peuvent trouver des voies novatrices pour le bien de tous les Calédoniens", a poursuivi le Premier ministre.
Corse
Le Premier ministre a également promis de "respecter" le calendrier "pour aboutir à une évolution constitutionnelle fin 2025" pour la Corse. "Avoir confiance dans la responsabilité des collectivités, c'est aussi, pour certaines, tenir compte de leur spécificité. C'est le cas qui me tient à coeur pour la Corse", a dit le chef du gouvernement devant le Parlement, sans entrer dans les détails.
Le processus dit de Beauvau, visant à accorder davantage d'autonomie à la Corse, avait été initié en 2022 par Gérald Darmanin, alors ministre de l'Intérieur, à la demande du président Emmanuel Macron. Mais la dissolution de l'Assemblée nationale en juin 2024 a mis brutalement un terme aux discussions, laissant de nombreux élus corses craindre l'abandon du projet.
Début octobre, avant la censure du gouvernement de Michel Barnier, l'exécutif avait indiqué souhaiter la rédaction d'un "projet de loi constitutionnelle" soumis au vote "avant la fin de l'année 2025". Pour que cette réforme soit validée, ce projet de loi devra d'abord être voté dans les mêmes termes par l'Assemblée nationale et le Sénat, puis, lors de leur réunion en Congrès, à la majorité des trois cinquièmes.
Logement
François Bayrou a estimé que la France avait "besoin d'une politique de logement repensée et de grande ampleur", prônant des simplifications pour la construction et un soutien à l'investissement.
"Si l'on ne peut pas se loger, on ne peut pas se faire reconnaître", a déclaré le chef du gouvernement lors de sa déclaration de politique générale.
François Bayrou a salué "les efforts menés par les précédents gouvernements pour lever les contraintes en matière de construction de logements" et jugé possible d'"aller plus loin encore en réduisant les délais, en allégeant les demandes d'autorisation, en favorisant la densification, et en facilitant les changements d'usage".
"Cela suppose de relancer l'investissement locatif et l'accession à la propriété, et de soutenir les élus bâtisseurs par un système d'encouragement à l'investissement, y compris à l'investissement privé", a-t-il ajouté. Il n'a cependant précisé aucune mesure.
Éducation
L'orientation précoce "est une erreur" et Parcoursup "est une question", a déclaré le Premier ministre François Bayrou, en estimant nécessaire d'"ouvrir les portes" et de favoriser "les réorientations, les changements de formation".
"Les enfants ne sont pas comme les poireaux, ils ne poussent pas tous à la même vitesse", a résumé dans une formule le chef du gouvernement lors de sa déclaration de politique générale, affirmant que "l'obligation d'orientation précoce les perturbe et les met en danger".
"Vouloir sélectionner précocement, sans qu'aient mûri l'esprit et les attentes, je pense que c'est une erreur, en tout cas une faiblesse. Et je pense que dans notre système scolaire et universitaire, il faut que puisse être acceptés et même favorisés les réorientations, les changements de formation", a-t-il estimé devant l'Assemblée nationale.
Sur l'éducation, le Premier ministre a encore évoqué "parmi les combats à mener, la promotion de la lecture contre le monopole des écrans" ou la poursuite de "la grande réforme de l'enseignement professionnel qui a été engagée par les gouvernements précédents".
François Bayrou n'a cependant pas fait de grandes annonces sur l'éducation, ni évoqué les 4.000 suppressions de postes prévues dans l'Éducation nationale dans le budget 2025 avant la censure du gouvernement Barnier, une mesure sur laquelle le PS lui avait demandé de revenir.
Agriculture
Il a mené une charge contre les contrôles et les normes environnementales auxquels les agriculteurs sont soumis, allant jusqu'à qualifier de "faute" les inspections "avec une arme" de l'Office français de la biodiversité.
"Je m'engage (...) à ce que nous remettions en question les pyramides de normes en donnant l'initiative aux usagers. Ceux que l'on contrôle doivent avoir leur mot à dire sur les contrôles", a-t-il déclaré dans son discours de politique générale au lendemain d'une rencontre avec les principaux syndicats agricoles, remontés après un an de mobilisation.
Le Premier ministre, qui a de nouveau mis en avant ses racines paysannes, a distingué dans son discours "la crise" provoquée selon lui par deux facteurs: le manque de revenus et le "sentiment qu'ont nos agriculteurs de n'être pas respectés", reprenant à son compte le mécontentement des agriculteurs face aux critiques des écologistes, notamment concernant l'usage des pesticides et le partage de l'eau.
Après avoir affirmé que l'écologie n'était "pas le problème" mais "la solution", il a particulièrement ciblé l'Office français de la biodiversité (OFB), dont des locaux ont été récemment saccagés par des membres de la Coordination rurale (CR). Le deuxième syndicat agricole réclame la disparition de l'OFB et a minima un moratoire sur les contrôles des exploitations françaises "au profit de contrôles des produits d'importation".
Santé
Envisagée à l'automne par Michel Barnier puis abandonnée sous la pression du RN, "la mesure de déremboursement de certains médicaments et de consultations" médicales "ne sera pas reprise", a annoncé mardi le Premier ministre, promettant par ailleurs une hausse "notable" des dépenses de santé.
Pour faire un milliard d'euros d'économies via le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2025, l'ex-gouvernement de Michel Barnier souhaitait abaisser la part de remboursement versée par l'Assurance maladie sur les consultations médicales et les médicaments, pour la transférer aux complémentaires santé (ou aux assurés pour ceux qui n'ont pas de complémentaire). Une telle mesure aurait provoqué par ricochet une hausse des tarifs des complémentaires.
Bayrou a confirmé au passage "le remboursement intégral des fauteuils roulants dès 2025", promesse formulée par Emmanuel Macron il y a bientôt deux ans. Il a également confirmé que la santé mentale sera "la grande cause nationale de 2025", comme l'avait décidé son prédécesseur Michel Barnier.