Réforme des retraites: les enjeux et les coulisses de la décision du Conseil constitutionnel

L’avenir de la réforme des retraites est suspendu à la décision du Conseil constitutionnel, attendue dans les prochains jours. Et c’est une décision très politique qui se joue en coulisses. Il y a quatre recours à l’étude, ceux déposés par la gauche de l’Assemblée nationale et du Sénat, celui du Rassemblement national, et celui de la Première ministre elle-même. En théorie, les Sages ont jusqu’au 21 avril, mais ça pourrait aller bien plus vite, parce que le Conseil a anticipé et a commencé à travailler avant même d’être saisi.
A première vue, c’est un travail très juridique: vérifier que la loi est conforme à la Constitution. Mais de fait, il y a forcément de la politique. D’abord parce que les neuf membres sont pour partie des grands politiques eux-mêmes, comme Laurent Fabius et Alain Juppé. Et parce qu’ils ont tous été nommés par des personnalités de l’Etat: deux par Emmanuel Macron (Jacqueline Gourault, Jacques Mézard), deux par Richard Ferrand quand il était président de l’Assemblée (Alain Juppé, Véronique Malbec), trois par le président du Sénat Gérard Larcher (Michel Pinault, François Seners et François Pillet), un par François Hollande (Laurent Fabius) et une par l’ancien président de l’Assemblée Claude Bartolone (Corinne Luquiens).
Ils décident à chaud et ne peuvent pas faire fi des enjeux, confirme une constitutionnaliste. Et d’ailleurs, un parlementaire de la majorité s’en méfie: "Si Laurent Fabius a envie d’abattre le président, il tient là son occasion".
L’index sénior très menacé, mais les Sages iront-ils encore plus loin?
Quels sont les scénarios possibles? Il y a une chose que Laurent Fabius a promise, c’est de ne pas laisser passer les "cavaliers". C’est-à-dire les mesures qui n’ont rien de budgétaire et qui donc n’ont pas leur place dans le texte. L’index sénior, par exemple, a de bonnes chances d’être retoqué. Ça, le gouvernement s’y attend.
Mais les Sages iront-ils plus loin, en censurant toute la réforme? C’est le pari de la gauche et du RN, qui estiment que la clarté et la sincérité des débats ont été entravées, par l’utilisation d’un temps de débat limité, du vote bloqué, du 49.3…. Rien de tout cela - pris séparément - n’est illégal, explique un député insoumis, mais c’est l’accumulation des procédures qui pose problème. Et y compris au sein de la majorité, un député reconnaissait ce lundi qu’il peut y avoir un doute…
Et qu’en disent les spécialistes du droit? Ils sont très partagés, tout simplement parce que ça n’est jamais arrivé. Jamais le Conseil constitutionnel n’a censuré un texte pour ce motif. C’est ce qu’explique la constitutionnaliste Anne-Charlène Bezzina. Ce serait un revirement spectaculaire. Mais ce n'est pas impossible. Et certains grands professeurs de droit estiment que les arguments des oppositions sont tout à fait recevables.
C’est donc toute la marge d’appréciation des neuf Sages, qui vont prendre leur décision ensemble, dans les prochains jours. Peut-être aussi à la lumière des conséquences potentielles… Censurer tout le texte, "ce serait casser le quinquennat Macron, je ne les vois pas aller jusque-là” glisse un fin connaisseur de l’institution. On verra donc bientôt jusqu’où le Conseil est prêt à aller.