Inceste: des mesures à venir pour lutter contre les violences sexuelles sur mineurs
Le secrétariat d’État à l’Enfance a annoncé mercredi des mesures pour lutter contre les violences sexuelles sur mineurs, inspirées par la Commission Inceste qui a publié dans le même temps une analyse de leurs conséquences traumatiques.
Il a notamment annoncé le "dépôt au Parlement d'une modification législative permettant le retrait de principe de l'exercice de l'autorité parentale en cas de condamnation d'un parent pour violences sexuelles incestueuses sur son enfant".
Le gouvernement va également lancer début 2023 "une grande campagne nationale sur les violences sexuelles faites aux enfants", une demande de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise). Il entend créer une "cellule de conseil et de soutien pour les professionnels destinataires de révélations de violences sexuelles de la part d'enfants".
Soignants, maîtres d'écoles, profs de sport doivent "se poser systématiquement la question" des violences sexuelles. "Quand un enfant est violent, que des signaux font craindre une situation de prostitution ou encore qu'il est isolé, c'est une grille de lecture qu'ils doivent avoir en tête", souligne au Figaro Charlotte Caubel, la secrétaire d’État à l’Enfance.
Une fois l'inceste repéré, l'étape suivante est de consolider le traitement judiciaire alors que 70% des plaintes sont classées sans suite.
Sur cet aspect, outre le retrait de principe de l'autorité parentale, le gouvernement veut aussi renforcer "l'accompagnement de l'enfant" tout au long du processus pénal "par les associations d'aide aux victimes et avec l'intervention d'un administrateur ad hoc, en cas de défaillance parentale".
Une souffrance traumatique qui s’éternise
Il y a un an, la Civiise, qui évalue à 160.000 le nombre de mineurs victimes de violences sexuelles chaque année, lançait un vaste appel à témoignages auprès des citoyens ayant subi de tels actes dans leur passé.
Absence de libido, refus de maternité, addictions, anorexie... les victimes de violences sexuelles dans l'enfance en subissent les conséquences traumatiques à l'âge adulte, alerte la Commission qui a reçu en un an plus de 16 400 récits de témoins.
D'ailleurs, plus de 80% d'entre elles estiment que ces violences ont eu un impact sur leur confiance en soi et sur leur santé psychique (conduites d’évitement, tentatives de suicide, dépression, cauchemars).
"Ce qui saute aux yeux en lisant les mails reçus, c'est l'expression de la souffrance, une souffrance extrême et qui dure. Ce n'est pas penser à quelque chose de douloureux qui s'est passé il y a longtemps, c'est l'éprouver aujourd'hui", explique à l'AFP le juge Edouard Durand, coprésident de la Ciivise.
Cette souffrance, Rachel, 35 ans, ne la connaît que trop bien. A l’âge de trois ans, Rachel a été violée à deux reprises par son voisin de 18 ans, un ami de la famille. La naissance de sa fille en 2019 lui a fait remémorer ces terribles souvenirs enfouis dans sa mémoire.
“C’est des flashs, des crises d’anxiété, de la tachycardie… Cela devient psychique et physique. On vole notre innocence en fait. Et je ne sais pas si un jour, c’est quelque chose que l’on récupèrera”
Aujourd’hui, Rachel redouble de vigilance pour ne pas tomber dans des dépendances comme l’alcoolisme, pour tout simplement oublier ce qui lui est arrivé. “J’ai toujours fait en sorte de faire attention, parce que ça m'enivre et les choses paraissent plus faciles autour de nous”, explique Rachel.
Selon le rapport de la Civiise, 30% des femmes développent une conduite addictive après avoir subi des violences sexuelles. Une façon de rompre avec des souvenirs obsédants selon la psychiatre Muriel Salmona.
Pour elle, le “seul moyen d’échapper à cette mémoire traumatique c’est de l’anesthésier. Alors l’alcool, la drogue, ça anesthésie. Ca fait disjoncter le cerveau”.
“La mémoire traumatique c’est un enfer : on revit la torture de ce qu’on a vécu”
La psychiatre estime que les médecins généralistes devraient s’adonner à beaucoup plus de dépistage de cas de violences sexuelles chez les mineurs. Elle voudrait aussi la création de 200 centres spécialisés en France pour accompagner les victimes de ces affres.
La Ciivise demande au gouvernement d’adopter 5 mesures d’urgence
Parmi les préconisations qu'elle appelle les pouvoirs publics à mettre en oeuvre "d'urgence", à l'approche des discussions budgétaires, la Ciivise demande notamment de garantir et de rembourser aux victimes des soins spécialisés en psychotrauma, actuellement peu accessibles et onéreux.
"Je crois que j'ai dépensé une voiture ou deux pour ma reconstruction psy", dit un témoignage recueilli par l’AFP.
La Ciivise demande aussi plus de moyens pour les services de police judiciaire spécialisés dans la cyber-pédocriminalité, alors que le "grooming" (approcher un enfant par internet pour l'agresser sexuellement) a bondi.
Comme en écho aux témoignages de la Ciivise, l'actrice Corinne Masiero a évoqué lundi sur France Inter les conséquences de l'inceste qu'elle a subi: "Il y a deux mots que je déteste, c'est amour et famille. Volontairement, j'ai pas voulu avoir de gosse car, à un moment, la chaîne, il faut la casser".
Elle témoignera, avec d'autres, dans le documentaire "Inceste, le dire et l'entendre", diffusé le 26 sur France 3. Envoyé Spécial traitera aussi de l'inceste dans son édition jeudi.