"C'est 70% de mes enquêtes": ces détectives privés traquent les faux arrêts-maladie pour les patrons

Contre les faux arrêts-maladie, certaines entreprises n'hésitent plus à faire appel à des détectives privés. L'objectif, surprendre d'éventuels malades imaginaires alors que la fraude aux arrêts de travail est estimée à 628 millions d'euros en 2024.
Traquer les fraudeurs, notamment dans les entreprises du BTP, c'est ce que fait Barbara, détective privé à Lyon: "70% de mes enquêtes le sont pour de faux arrêts-maladie", raconte-t-elle ce mardi aux Grandes Gueules. "Dernier exemple en date, un jeune de 28 ans en arrêt-maladie depuis 7 mois qu'on a pris en train d'exercer le même métier sur un marché public. Il n'était plus censé exercer le même métier mais le lundi suivant, il était sur le chantier".
"Dans ce cas, on fait intervenir un huissier qui constate ce que l'on voit et qui transmet ensuite à l'employeur", ajoute-t-elle.
Cumul du travail au "noir" et du salaire en arrêt maladie
Et à chaque fois qu'elle a été sollicitée pour un soupçon de fraude à l'arrêt-maladie, la fraude a été constatée: "Souvent ce sont des conflits entre salariés et employeurs. Un employé monte une petite boîte dans le même secteur d'activité que son employeur et se met en arrêt-maladie au mois de juin où il y a une hausse de ces arrêts. Et ces gens travaillent au noir et touchent toujours leur indemnisation", explique l'enquêtrice sur RMC et RMC Story.
"Pour cinquante affaires par an, je n'ai jamais eu de cas où l'employé ne travaillait pas au noir dans le bâtiment".
Une salariée en arrêt-maladie qui travaille au noir comme serveuse
L'entrepreneur Mourad Boudjellal a déjà eu recours aux services de détectives privés pour une investigation de ce type: "C'était une salariée qui était en arrêt-maladie depuis des mois. Je savais qu'elle avait une activité et effectivement elle était serveuse à Marseille en train de cavaler".
"Je l'ai licenciée, et j'ai perdu aux prud'hommes. J'ai fait appel, j'ai gagné mais entre temps elle était devenue insolvable. J'avais dû payer en première instance 17.000 euros que je n'ai jamais revus après l'appel vu qu'elle ne pouvait pas rembourser", raconte l'éditeur de bande dessinées.
"Il y a aussi la médecine du travail", poursuit Mourad Boudjellal. "Une personne a été diagnostiquée en incapacité de travailler dans une entreprise que je dirige alors que je ne l'avais jamais vue. J'ai demandé à la médecin du travail pourquoi elle avait pris cette décision en 10 minutes, elle m'a dit 'pour rendre service'".
"J'ai eu un salarié dont la copine a déménagé dans une autre ville", se souvient Jean-Pierre, autoentrepreneur. "Plutôt que de démissionner, il a eu un arrêt de travail d'un mois pour aller travailler chez un concurrent dans l'autre ville. Ça a duré 9 mois, il a eu 5 arrêts-maladie délivrés par 4 médecins", raconte-t-il.
"Je n'ai pas pu envoyer de détective privé, mon avocat m'a dit que ça se retournerait contre moi pour harcèlement. J'ai contacté un huissier qui m'a dit que la seule chose qu'il pouvait faire, c'était rentrer dans le magasin et demander au premier vendeur s'il était bien monsieur untel", se souvient Jean-Pierre.
"Un salarié m'a demandé une rupture conventionnelle mais je ne pouvais pas la payer", raconte Stéphane, patron d'une TPE en couverture-zinguerie qui emploie 9 salariés. "Il est parti à la concurrence mais comme je n'ai pas voulu faire sa rupture, il s'est mis en arrêt-maladie, 15 jours, un mois, deux mois et j'ai appris qu'il faisait du black".
Face à la situation, Stéphane contacte un détective privé: "Ça m'a coûté 1.200 euros pour qu'il fasse des photos où le salarié porte des futs de bière. Je l'ai convoqué, il m'a emmené au tribunal, je n'ai pas perdu parce que j'avais un bon avocat mais la procédure a pris 7 mois", raconte-t-il.
"Le management à la française créé des arrêts-maladie"
"On donne des avis d'arrêts de travail qui sont ensuite validés ou par l'Assurance maladie", explique le docteur Jérôme Marty. "Et l'Assurance maladie ne vérifie pas les millions d'arrêts quotidiens", poursuit le praticien. "Le coût pour l'Assurance-maladie, ce ne sont pas les arrêts courte durée mais longue durée", précise-t-il.
"Si je veux fixer un rendez-vous avec un spécialiste, il me faut un mois et demi pour l'obtenir, pareil pour une IRM. Qu'est-ce que je fais? Je dis au patient de reprendre le travail sans avoir la totalité de l'expertise?", interroge Jérôme Marty.
Pour accélérer le processus de vérification des arrêts, Barbara la détective assure que sa profession, agréée par le ministère de l'Intérieur, a déjà proposé ses services à grande échelle à l'Assurance-maladie. Qui aurait aussi un coût pour les finances publiques: contrôler le bon fondé d'un arrêt-maladie par un détective privé coûte environ 80 euros l'heure.
"On accuse les salariés et les médecins d'être des fraudeurs mais les entreprises, pépères!", note Joëlle Dago-Serry. "Quand une entreprise a ce problème d'arrêts-maladie récurrents, il faut s'interroger sur son management. Et le management à la française n'est pas bon et créé des arrêts-maladie", ajoute l'autoentrepreneur.
Les arrêts de travail ont coûté plus de 10 milliards d'euros à l'Assurance-maladie en 2023 selon la Drees. Les indemnités journalières elles, sont en hausse de près de 6% chaque année.