Prix des carburants: pourquoi l’Etat ne peut pas dire qu’il ne peut rien faire

Un véritable fiasco. Dimanche dernier, Elisabeth Borne propose d’autoriser la vente de carburant à perte. Trois jours plus tard, Total dit non, la grande distribution dit non… Après l’annonce de la Première ministre, on nous a même parlé d’un projet de loi présenté sous peu en Conseil des ministres et discuté au Parlement début octobre. Bruno Le Maire avance même une date d’entrée en vigueur au 1er décembre. Oliver Véran, le porte-parole du gouvernement, dit même que la baisse pourrait approcher les 50 centimes par litre.
Et puis mercredi matin, patatras: Patrick Pouyanné, le PDG de Total, dit qu’il n’en est pas question. Carrefour, Leclerc, Intermarché, en réalité toute la grande distribution, disent: "merci, mais non merci". Bref, le flop absolu. "On passe pour des cons, au pire pour des amateurs", confie même un député de la majorité.
Quand on annonce une telle mesure, on se met d’accord avec les principaux intéressés, en principe. Là, rien n’a été anticipé. Ni la colère des stations indépendantes, auxquelles il a fallu promettre en urgence une compensation financière, pour les calmer. Ni la réaction de la grande distribution qui, non seulement n’avait rien demandé, mais a découvert l’idée en lisant l’interview d’Elisabeth Borne. Ce qui explique d’ailleurs pourquoi les patrons des grandes enseignes, toujours prompts à venir commenter dans les médias les décisions du gouvernement, n’ont pas dit un mot pendant 48 heures. Silence radio. Le résultat politique est terrible: non seulement ça fait amateur, mais ça laisse une impression d’impuissance, politiquement très dommageable.
45 milliards d’euros dépensés en deux ans
L’Etat peut-il vraiment faire quelque chose contre l’inflation et la hausse du prix de l’essence? Oui. D’abord, le gouvernement a fait beaucoup: 45 milliards d’euros de subventions publiques depuis deux ans: bouclier tarifaire sur le gaz et l’électricité, ristourne à la pompe, chèque carburant… Aucun Etat européen n’a fait autant. C’est même grâce à ces mesures que l’inflation est plus basse en France que chez nos voisins.
Ensuite, il y a la politique monétaire: la hausse des taux d’intérêt que pratique la BCE et qui amortit l’effet de l’inflation. On pourrait, comme le réclame la droite et l’extrême droite, baisser les taxes sur l’essence. Des taxes qui, rappelons-le, rapporte 41 milliards d’euros par an. Sauf qu’il n’y a plus d’argent dans les caisses.
Reste l’idée d’indexer tous les salaires, et pas seulement le Smic, sur l’inflation, mais le gouvernement s’y refuse de peur d’alimenter la spirale inflationniste. La vérité, qui est difficile à dire et à entendre, c’est que l’inflation, liée à la guerre en Ukraine et à la hausse du coût de l’énergie, n’est pas française, elle est mondiale.
Donc l’Etat ne peut plus rien faire? C’est une phrase taboue en politique. La phrase interdite, ka fameuse jurisprudence Jospin. En 1999, Lionel Jospin, à propos des 7.500 licenciements chez Michelin, dit: "L’Etat ne peut pas tout". Il disait la vérité, mais on connait la chanson de Guy Béart: "Le premier qui dit la vérité doit être exécuté". Un responsable politique a tous les droits, sauf de dire qu’il ne peut rien faire. Donc, il faut montrer qu’on agit. Et comme les caisses sont vides, on assiste au concours Lépine des mesures anti-inflation.
Le gouvernement, pas le seul à lancer des idées
Mais au concours Lépine, il n’y a pas qu’un participant. Il y a plein de candidats. Dernière en date: Marine Le Pen. Elle propose de rendre 8 milliards d’euros de TVA qu’elle juge indûment perçus par l’Etat sous forme de crédit d’impôt. Rappelons qu’un crédit d’impôt ne concerne que ceux qui paient l’impôt sur le revenu (moins d’un Français sur deux) et que le crédit d’impôt est versé en septembre quand vous avez fait votre déclaration d’impôt. Autrement dit, ça ne concernerait pas les plus défavorisés, mais en plus on ne toucherait l’argent que dans un an. Et par ailleurs, elle ne dit pas où elle prendrait ces 8 milliards…
Xavier Bertrand, le président de la Région Nord Pas-de-Calais, propose, lui, de baisser les taxes sur l’essence: 12 milliards d’euros. Sans dire non plus où on trouve ces 12 milliards qui manqueraient dans les caisses. Et en oubliant surtout de dire que ça ne pénaliserait pas que l’Etat. Sur les 41 milliards de taxes sur l’essence, 40% (près de 17 milliards) vont aux départements, aux régions et à la Sécurité sociale.
Et puis il y a ceux, à gauche, qui proposent de taxer les super profits des compagnies pétrolières – ce qui intellectuellement peut se défendre – mais qui oublient de dire que les multinationales du pétrole réalisent l’essentiel, pour ne pas dire la totalité, de leurs profits à l’étranger. Et donc qu’elles ne paient pas, ou très peu, d’impôts en France.
Le meilleur moyen d’atténuer les problèmes de pouvoir d’achat réels des Français, ce n’est pas la vente à perte, c’est d’augmenter les salaires. Et ça non plus, ça ne dépend pas de l’Etat. Sauf quand il est lui-même employeur…