Cour de justice de la République: pourquoi l'instance qui a relaxé Eric Dupond-Moretti est contestée

La Cour de justice de la République est à nouveau contestée après la relaxe ce mercredi d’Eric Dupond-Moretti. Les députés de La France insoumise ont immédiatement demandé la suppression de cette juridiction d'exception. "Une juridiction de l’entre-soi", des politiques "jugés par leurs copains", une institution qui ne sert qu’à blanchir des ministres. Voilà les termes employés par ceux qui ont réclamé la suppression de la CJR.
Une idée qui n’est pas nouvelle, François Hollande et Emmanuel Macron avaient promis de le faire. L’un et l’autre ont ensuite renoncé parce qu’il faudrait pour cela réformer la Constitution, ce qui est extrêmement difficile.
Peut-on vraiment parler d’une justice des copains? Non, parce ce sont des magistrats professionnels qui contrôlent tout le processus judiciaire depuis le dépôt des plaintes jusqu’au procès. Et pas n’importe quel magistrats, car ils sont issus de la Cour de cassation.
Mais c’est vrai que les jurés, au lieu d'être tirés au sort sur les listes électorales comme dans la justice normale, sont choisis parmi les députés et les sénateurs. En l'occurrence, parmi les 12 parlementaires qui ont jugé Eric Dupond-Moretti, huit faisaient partie de l’opposition et n’étaient pas des copains du garde des Sceaux.
Mais, effectivement, les politiques sont jugés par des politiques. La Ligue des droits de l’Homme estime que la survivance de cette juridiction d'exception fait de la France une démocratie "dégradée".
La CJR censée être plus stricte que sa prédécesseure
La Cour de justice de la République a pourtant été créée pour remplacer une institution encore plus contestée. Jusqu’en 1993, les ministres soupçonnés de fraude, de délit ou de crime étaient passibles de la Haute Cour, une juridiction d'exception également. Les poursuites devaient être décidées dans les mêmes termes par l'Assemblée nationale et le Sénat.
Résultat? La procédure était tellement lourde et infamante que la Haute Cour ne se réunissait jamais et que les ministres n'étaient jamais poursuivis. A la fin des années 1980, cette impunité de l'exécutif est apparue insupportable après l’affaire du sang contaminé. L’opinion demandait que l’on juge les ministres responsables de ce scandale, l'écoulement de lots de sang contaminé par le Sida qui avait causé la mort d’environ 1.000 personnes.
Sauf que ce premier procès a tout de suite fait naître le soupçon, parce que le Premier ministre Laurent Fabius et la ministre des Affaires sociales Georgina Dufoix ont été relaxés et le ministre de la Santé Edmond Hervé condamné mais… dispensé de peine.
Georgina Dufoix, avant le procès, avait dit qu’elle se sentait "responsable mais pas coupable". Et c’est ce concept que la justice a validé. L’effet a été dévastateur. L’expression est restée, les politiques même responsables ne sont jamais coupables et la Cour de justice de la République le valide.
Des jugements jamais très sévères
Après l’affaire du sang contaminé, Ségolène Royal, ministre en exercice, avait été jugée pour diffamation envers des profs et elle a été relaxée. Charles Pasqua, ministre de l'Intérieur, a été condamné dans une histoire de pots de vin et a reçu un an avec sursis. Un secrétaire d'Etat aux Personnes handicapées, accusé d’avoir pioché dans la caisse, a pris trois ans avec sursis. Christine Lagarde, ministre de la Justice, a été poursuivie pour avoir été trop favorable à Bernard Tapie dans l’affaire de l'arbitrage. Elle a été déclarée coupable et dispensée de peine.
Enfin, Edouard Balladur a été jugé pour le financement de sa campagne de 1995, 26 ans après les faits. Et il a été relaxé, alors que son ministre François Léotard a été condamné à une amende de 100.000 euros.
Globalement, le bilan est assez mince. Cette justice particulière, en 30 ans d’existence, n’a jamais prononcé une seule peine de prison ferme.