Deux féminicides en un week-end: "Porter plainte, ça ne suffit pas"

Deux femmes ont été tuées par leur ex-conjoint ce week-end. Vendredi soir, Fatiha, 28 ans, est morte poignardée par son ancien compagnon juste devant l’hôtel où elle travaillait à Amiens. À Saint-Laurent-d'Arce, en Gironde, c'est une femme d'une cinquantaine d'années qui est morte, elle aussi poignardée par son ex-conjoint dont elle était séparée depuis le mois de février.
Dans les deux cas, les victimes avaient déposé des plaintes contre leur ancien conjoint. Deux pour la victime de Saint-Laurent-d'Arce et une pour la victime d'Amiens, dont l'ex-conjoint avait interdiction de l'approcher mais était souvent aperçu sur son lieu de travail.
"Porter plainte ne suffit pas", constate, dans "Apolline Matin" ce lundi sur RMC et RMC Story, Sandrine Bouchait, présidente de l'Union nationale des familles de féminicide, dont la sœur a également été victime d'un féminicide. "On voit bien dans ces deux féminicides qu'il y a un réel problème de suivi et de prise en charge des auteurs puisqu'on n'a pas su évaluer correctement le danger pour ces deux femmes", déplore-t-elle.
"Le délai de traitement des plaintes pose problème"
Sandrine Bouchait estime que si les deux victimes ont pu être entendues et leur plainte bien prise, le traitement "pose problème", alors que l'auteur du féminicide de Gironde avait déjà été condamné à 20 ans de réclusion pour tentative d'assassinat sur une ancienne conjointe en 2006 et était sorti de prison en 2017.
"Les plaintes sont enregistrées, mais c'est le délai de traitement des plaintes qui pose problème. Chaque femme qui vient dans un commissariat dénoncer des violences doit pouvoir repartir avec quelque chose qui puisse alerter en cas de danger", appelle l'auteure de "Elle le quitte, il la tue", qui retrace l'histoire de sa sœur, tuée par son ex-conjoint.
"Pour les familles de victimes, c'est la solitude face aux démarches, comme pour trouver un avocat. Il n'y a aucun soutien psychologique. Rien n'est mis en place. Quand on apprend la mort de notre proche, on est tout seul. Il n'y a aucun accompagnement psychologique, ne serait-ce que pour accueillir les enfants", déplore Sandrine Bouchait.
Les exemples espagnols et italiens
Des solutions existent pourtant, assure-t-elle. Il suffirait de s'inspirer de ce qu'il se passe chez certains de nos voisins européens: "L'Espagne est très en avance sur la prise en charge des violences conjugales. L'Italie est très en avance sur la prise en charge des enfants avec un réel statut de victime", explique la présidente de l'Union nationale des familles de féminicide.
En France, certains pères incarcérés pour un féminicide continuent parfois de donner depuis la prison des autorisations de sortie scolaire, par exemple. "Il y a une évolution", tempère cependant Sandrine Bouchait. "La députée Isabelle Santiago a mis en place une loi en train d'être étudiée pour suspendre l'autorité parentale, du meurtre jusqu'au procès d'assise. Et qu'en cas de condamnation, le parent se voit retirer son autorité parentale", assure-t-elle.
Elle plaide aussi pour la mise en place d'un dispositif centralisé des dossiers des victimes comme en Espagne. "Il existe un outil informatique, VioGén, qui fait rentrer la victime dans ce dispositif dès la première plainte. Ce dispositif est consultable par tous les maillons de la chaîne, services sociaux, magistrats, policiers. Ce n'est pas chacun dans son coin, tout est centralisé avec une évaluation du danger réactualisée régulièrement", raconte-t-elle alors que ce dispositif aurait permis de faire baisser de 63% le taux de récidive outre-Pyrénées.
"Ce qu'on veut, c'est que des choses soient faites en amont"
Aujourd'hui, Sandrine Bouchait se dit "très en colère" contre les pouvoirs publics et le gouvernement, alors qu'Emmanuel macron en avait fait en 2017, "la grande cause du quinquennat. "Je suis très en colère. Je veux bien entendre que ce soit 'La grande cause du quinquennat' mais on agit en réaction et non pas en prévention", constate-t-elle.
Après le féminicide de Gironde, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a demandé l'ouverture d'une enquête administrative. "C'est bien de dire aux familles qu'on ouvre une enquête pour savoir pourquoi les plaintes étaient en attente. Mais nous, ce qu'on veut, c'est que des choses soient faites en amont", conclut Sandrine Bouchait. Selon le collectif "féminicides par compagnon ou ex", 27 femmes ont été tuées depuis le début de l'année.