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Procès des viols de Mazan: "Sacrifiée sur l'autel du vice", "sauvée par la police", le témoignage bouleversant de Gisèle, la victime

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Victime de viols répétés alors qu'elle était droguée par son mari, Gisèle P. a témoigné ce jeudi au tribunal au procès de l'affaire Mazan. Elle a estimé avoir été sauvée par les policiers, qui ont découvert les faits. Son témoignage est bouleversant.

Vêtue d'une robe rouge-orangée et d'une chemise en lin blanche, Gisèle P. prend place à la barre, ce jeudi, assistée de son avocat Me Babonneau. Victime de 92 viols, alors qu'elle était droguée par son mari, cette femme, âgée de 71 ans, vient raconter sa version des faits devant les juges. Le témoignage le plus attendu du procès de l'affaire Mazan.

Gisèle remercie d'abord le lieutenant de police de Carpentras, qui lui a "sauvé la vie", en creusant le matériel informatique de Dominique P., son mari. La victime raconte ensuite, très calmement, ce mois de septembre 2020. Elle garde ses petits enfants en région parisienne, quand son époux l'appelle pour qu'elle rentre à Mazan.

"Il s'effondre, se met à pleurer, il a eu des soucis de santé, des cellules cancéreuses. Je pense à une rechute, en larmes, il me dit 'j'ai fait une bêtise'", détaille Gisèle. Son mari lui avoue avoir filmé sous les jupes de clientes dans un supermarché. "Il n'avait jamais eu de gestes déplacés ni de mots obscènes à l'égard des femmes. Je suis très étonnée au bout de 50 ans de mariage", confie Gisèle.

Un couple fusionnel, basé sur la confiance

Dominique, lui, parle d'une "pulsion". Pour cette fois, Gisèle "lui pardonne". "La prochaine fois, je m'en irai. Tu vas devoir t'excuser auprès de ces femmes, et te faire suivre par un psy", le prévient-elle.

"Nous sommes un couple basé sur la confiance depuis 50 ans. Je n'imagine l'ampleur de ce qui va suivre", poursuit la victime.

Une fois de retour en région parisienne, Gisèle a "un gros souci gynécologique". "Sur le ton de la plaisanterie, il (son mari) me dit 'que fais-tu de tes journées?'", retrace la femme de 71 ans, sûre d'elle.

Gisèle reçoit ensuite "un appel de la police" qui lui donne rendez-vous le 2 novembre. Elle ne s'attend pas à ce qui va arriver par la suite: "Pour moi, ce rendez-vous au commissariat est une formalité".

Le traumatisme au commissariat

La victime poursuit, déterminée, son témoignage et décrit son audition: "Le policier me reçoit dans son bureau et me pose des questions sur ma vie sexuelle. Je n'ai jamais pratiqué l'échangisme, le triolisme. Je suis la femme d'un seul homme, je ne supporte que les mains de Dominique P. sur mon corps".

"Après une heure", le policier "commence à ouvrir une chemise" et prévient Gisèle: "Il me dit 'je vais vous montrer des choses qui ne vont pas vous faire plaisir'", raconte-t-elle. "Il met une photo où je ne reconnais ni l'individu ni la femme endormie sur le lit. J'ai du mal à me reconnaître habillée d'une manière que je ne reconnais pas."

"Il me montre une 2e, une 3e photo. Je demande qu'on arrête. C'est insoutenable. C'est des scènes de viol, je suis inerte. Le traumatisme est énorme. Mon monde s'écroule", se souvient Gisèle, à la barre.

La chute est brutale pour cette femme de 71 ans, mariée depuis 50 ans à un homme avec qui elle a eu "trois beaux enfants, sept petits enfants, on était le couple idéal". Sur le banc des parties civiles, ses enfants sont en larmes devant son récit.

"À ce moment-là, j'ai envie de disparaître, je dois annoncer à mes enfants que leur père est en garde à vue", continue-t-elle, toujours très calmement. "J'appelle mon gendre, il reste avec ma fille, pour que je dise 'il m'a violée, il m'a fait violer'. J'entends ma fille hurler."

"Un cri gravé à jamais dans ma tête", appuie-t-elle.

Gisèle se retrouve alors totalement démunie. Avec une vie à reconstruire. "Tout ce qui me reste, ce sont mes enfants, deux valises et mon chien. J'ai tout perdu, mon mari, ma vie. C'est surréaliste, je ne sais plus qui je suis ni où je vais. Je n'ai plus d'identité."

Elle décide alors de quitter sa maison et de garder uniquement "tout ce que je m'étais acheté moi-même, une petite commode et des babioles, le reste, j'ai tout bradé."

Persuadée d'avoir Alzheimer

Commence ensuite un long chemin de reconstruction, loin de ses enfants pour vivre seule dans une maison secondaire de sa fille qu'elle évite pendant 18 mois. "Je ne voulais pas me mettre en danger, nous n'avions pas le même niveau d'informations", confie Gisèle.

La victime revient ensuite sur les nombreux épisodes d'absences qu'elle a eus pendant des années, mais aussi sur des événements qui paraissent louches désormais, comme la fois où elle avait trouvé des tâches de javel sur des habits qu'elle ne se rappelle pas avoir utilisés.

"Je demande à monsieur P., 'mais tu ne me droguerais pas par hasard?' sur le ton de la rigolade, et il se met à pleurer que je l'accuse", détaille-t-elle.

"Je suis persuadée d'avoir Alzheimer. Monsieur P. prend rendez-vous pour moi chez le neurologue, qui me rassure, que ce n'est pas cette maladie. Je crois devenir folle parce que j'ai des absences et mes amis le constatent aussi. Il y a cet épisode où mon fils s'inquiète pour moi car mon bras se raidit pour prendre un verre", retrace calmement Gisèle.

Depuis le 2 novembre, elle assure ne plus avoir "d'absences et je remercie ma fille d'avoir créé son association 'M'endors pas: contre la soumission chimique'. J'ai été sacrifiée sur l'autel du vice".

Témoigner publiquement pour les autres victimes

Ce témoignage, Gisèle le fait publiquement "pour toutes celles qui pourront être victimes, pour celles qui le matin se réveilleront avec des absences, des souffrances gynécologiques, elles repenseront à mon témoignage. Pour que plus aucune femme ne soit victime par soumission chimique."

"J'étais comme un corps mort, chaud mais inerte, une poupée de chiffon. Un sac poubelle", décrit-elle.

Gisèle apprend "en mai 2023", au cours de l'enquête, que "monsieur P. avait déjà filmé sous les jupes en juillet 2010, et je n'ai jamais été informée. Il a eu une amende et on ne m'a jamais informée. Si j'avais été au courant, peut-être que ça m'aurait interpellée et j'aurais gagné 10 ans de ma vie."

C'est à cette période-là que Gisèle a également pu visionner les vidéos, "toutes plus affreuses les unes que les autres". "C'est de la barbarie. Je ne sais pas comment mon corps peut tenir devant vous", interpelle-t-elle.

Gisèle retrace sa rencontre avec Dominique P.

La victime, toujours sûre d'elle et déterminée, raconte ensuite sa rencontre avec son époux. "Il a un père autoritaire tyrannique, il doit donner tout son argent à ses parents. Je lui dis que je vais l'aider. On commence à mettre de l'argent en commun. On est tellement amoureux qu'on n'a plus envie de se quitter", détaille-t-elle.

Gisèle donne ensuite les dates de naissance de ses trois enfants. "On n'est pas riche, mais on est heureux". Son mari est électricien, puis se reconvertit dans l'immobilier. "Je n'ai eu que deux hommes dans ma vie, monsieur P. et un autre. Je crois que j'ai tout dit, je ne voudrais pas endormir les gens dans la salle", conclut calmement Gisèle pour terminer son témoignage.

Tanguy Roman-Clavelloux avec Marion Dubreuil